Vacciner contre les virus pourrait aussi être un moyen de protéger contre des infections bactériennes graves
Au cours de l’hiver 2022-2023, plusieurs pays européens, dont la France (1), ont observé une augmentation importante de l’incidence des infections invasives à streptocoques du groupe A (IISGA) chez les enfants et adolescents de leur population, en comparaison avec celle mesurée sur la période 2018 à 2020, qui a vu le début de la pandémie de covid 19.
Les streptocoques du groupe A (SGA) n’infectent que l’homme, ils se transmettent par les gouttelettes respiratoires ou par contact direct avec des sécrétions nasales ou des plaies cutanées. Ils sont généralement responsables d’infections non invasives de bon pronostic (angine, scarlatine, impétigo). Dans quelques cas, l’infection dite invasive gagne les tissus profonds. L’évolution spontanée est alors beaucoup plus grave, elle peut être mortelle, dans un tableau d’infection cutanée nécrosante, d’atteinte ostéoarticulaire, de pneumopathie ou de méningite, qui peut se compliquer d’un syndrome de choc toxique.
Deux hypothèses ont été avancées pour expliquer la recrudescence des cas : l’émergence d’une souche bactérienne plus pathogène, pas toujours retrouvée (1), et un affaiblissement des défenses immunitaires de la population, conséquence des mesures de protection prises contre la covid 19 (port du masque, confinement). Des études ont en effet montré que l’incidence des IISGA avait connu un rebond dans la période post-covid (2). On pourrait donc aussi évoquer une baisse de l’immunité, parfois durable, chez les personnes ayant été infectées par le SARS-CoV-2, même de façon inapparente (3).
Des chercheurs européens réunis autour de L. Lenglart, de l’hôpital Robert Debré, ont voulu savoir si d’autres facteurs intervenaient dans le phénomène constaté (4). Ils ont analysé 2091 cas d’IISGA pédiatriques survenus dans l’ensemble des 15 pays européens participant à l’étude, pour partie avant l’instauration des mesures de protection contre la covid (janvier 2018 - mars 2020) et pour partie après (avril 2022 - mars 2024). Dans la population étudiée se trouvaient 22,3 % d’enfants de moins de deux ans, 21,5 % de 2 à 5 ans et 34,2 % de plus de 5 ans. 79 (3,6 %) sont décédés et 580 (27,7 %) ont été admis en soins intensifs. Il a été constaté une augmentation de 229,8 % du nombre des IISGA entre les deux périodes, plus importante chez les enfants les plus âgés, et concernant les pneumonies plus que les formes ostéoarticulaires (+238 % et +62,7 % respectivement). Des variations importantes ont également été observées selon les pays : +159,0 % au Royaume-Uni contre +451,7 % en Suisse. Surtout, l’étude a montré une forte corrélation temporelle entre la survenue des formes pulmonaires d’IISGA et celle des infections à virus respiratoire syncytial (VRS) ou grippal, et une autre corrélation entre les formes touchant la peau et les tissus mous et les infections par le virus de la varicelle (VZV).
Pour les auteurs, l’étude montre que la circulation concomitante de certains virus est un facteur favorisant dans l’augmentation de l’incidence des IISGA. Ils reconnaissent plusieurs limitations à leur démonstration. En particulier, s’ils mettent en évidence une corrélation temporelle entre la survenue d’IISGA en grand nombre et les épidémies de viroses respiratoires (VRS et grippe) ou de varicelle, ils n’ont pas été en mesure de montrer directement que les IISGA survenaient chez les enfants infectés par ces virus. Ils relèvent toutefois qu’ayant analysé la corrélation entre plusieurs formes d’IISGA (pulmonaires ou ostéoarticulaires) et plusieurs virus (respiratoires ou VZV), ils montrent que les différents virus contribuent différemment à l’apparition des formes d’IISGA, ce qui constitue une validation. L’étude se poursuivant, la mise en œuvre dans certains pays de nouvelles stratégies de vaccination contre la varicelle pourra servir de test et valider plus encore le constat.
Les chercheurs peuvent ainsi conclure que « Des stratégies de vaccination ciblées contre des virus tels que le VRS, la grippe et le VZV pourraient contribuer à réduire la charge des infections invasives à streptocoque du groupe A et devraient être envisagées dans le cadre de stratégies plus larges de prévention des maladies infectieuses ».
- Actualité Santé publique France, 12/12/2022. Infection invasive à streptocoque du Groupe A (IISGA) : point au 8 décembre 2022 et dispositif de surveillance
- E.B. van Kempen, A.J. Tulling et coll. Risk Factors for Severe Pediatric Invasive Group A Streptococcal Disease
- M. Cai, E. Xu et coll. Rates of infection with other pathogens after a positive COVID-19 test versus a negative test in US veterans (November, 2021, to December, 2023): a retrospective cohort study
- L. Lenglart, I. Özmen et coll. Paediatric invasive group A streptococcal infections and associations with viral infections in 15 European countries after lifting non-pharmaceutical interventions against SARS-CoV-2: an interrupted time-series analysis