Une nouvelle forme de Plasmodium vivax, l'un des parasites responsables du paludisme, menace-t-elle l'Afrique ?
Plasmodium vivax est le plasmodium capable d'infecter les humains qui a la plus large aire de répartition géographique et qui est responsable, après P. falciparum, de la plus grande part de la morbidité due au paludisme. Depuis la fin des années 1970, il était considéré que les personnes Duffy négatives, c'est-à-dire qui ne possédent pas le récepteur Duffy à la surface de leurs globules rouges, ne pouvaient pas être infectées par P. vivax, ce récepteur jouant un rôle dans l'invasion des hématies par cet hématozoaire. Cette particularité génétique humaine expliquait que P. vivax était rarement ou jamais diagnostiqué en Afrique inter-tropicale, où la plus grande partie des populations humaines est Duffy négative.
Une équipe de l'Institut Pasteur de Madagascar et de l'Institut Pasteur à Paris, puis d'autres équipes, ont montré par des outils moléculaires que P. vivax pouvait en réalité infecter des individus Duffy négatifs. Cela a été montré d'abord à Madagascar (Menard D. et al. 2010) puis en Afrique (Mauritanie, Guinée équatoriale, Angola, Kenya) et en Amérique du Sud (Brésil). Il devenait alors important de tenter d'identifier les mécanismes permettant au parasite d'envahir des hématies dépourvues du récepteur Duffy.
L'équipe du Pr. Zimmerman, qui avait participé aux travaux princeps menés à Madagascar, a tenté de relever ce défi en analysant les séquences génomiques entières de P. vivax issues d'un nouvel échantillon malgache (Menard D. et al. 2013). Elle a découvert que le gène codant le ligand parasitaire du récepteur Duffy des hématies humaines était dupliqué. Cette duplication était retrouvée chez environ la moitié des infections à P. vivax d'échantillons de populations autochtones malgaches et d'environ 10 % de populations du Soudan et du Cambodge. Elle a aussi été retrouvée chez des voyageurs infectés par P. vivax revenant d'Asie, d'Afrique ou d'Amérique du Sud. La fréquence de cette duplication de gène n'était pas significativement associée au génotype humain du récepteur Duffy, ne permettant pas d'établir un lien entre cette duplication et l'invasion des hématies Duffy négatives. Par ailleurs, la faiblesse des effectifs analysés, la possible interdépendance des observations effectuées à Madagascar dans un nombre limité de sites et le manque de recul empêchent encore de soutenir l'hypothèse avancée par le Pr. Zimmerman que des souches particulières de P. vivax émergeraient et menaceraient d'infecter les populations Duffy négatives, en particulier africaines. La distribution sur plusieurs continents des infections à P. vivax chez des individus Duffy négatifs et de la duplication du gène du ligand parasitaire peut plutôt suggèrer qu'il s'agit de la découverte, grâce aux progrès des techniques de séquençage, d'un phénomène ancien et méconnu jusque-là.
La découverte de cette duplication de gène rapportée par le Pr. Zimmerman, pour intéressante qu'elle soit, n'apporte pas encore d'éléments décisifs pour la compréhension des mécanismes permettant à P. vivax d'envahir des hématies Duffy négatives ou le développement d'un vaccin qui ne concernerait, en l'état actuel de son épidémiologie, qu'une fraction minoritaire des infections à P. vivax. En revanche, le diagnostic d'infection à P. vivax ne doit plus être écarté a priori chez un voyageur Duffy négatif, Africain ou d'une autre origine.
Références
- Menard D, Barnadas C, Bouchier C, Henry-Halldin C, Gray LR, et al. (2010).Plasmodium vivax clinical malaria is commonly observed in Duffy-negative Malagasy people. Proc Natl Acad Sci U S A 107: 5967–5971.
- Menard D, Chan ER, Benedet C, Ratsimbasoa A, Kim S, et al. (2013) Whole Genome Sequencing of Field Isolates Reveals a Common Duplication of the Duffy Binding Protein Gene in Malagasy Plasmodium vivax Strains. PLoS Negl Trop Dis 7(11).