Ebola : un candidat vaccin prometteur

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Le virus Ebola est l'un des virus les plus meurtriers que nous connaissions (1). Responsable d'une infection généralisée marquée, dans sa forme typique, par d'importantes manifestations hémorragiques externalisées, il peut être mortel dans près de 9 cas sur 10, comme lors de la première épidémie qui a eu lieu au Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) en 1976 (318 cas, 280 décès) ou lors de celle de République du Congo (128 décès pour 143 cas survenus entre janvier et avril 2003).

Le virus est un filovirus, comme le virus Marburg, lui aussi responsable d'une fièvre hémorragique. On en connait aujourd'hui 5 souches, génétiquement stables et antigéniquement distinctes, isolées soit lors d'épidémies survenues en Afrique équatoriale (souches Zaïre, Soudan, Forêt de Taï et Bundibugyo), soit chez des singes importés aux Etats-Unis en provenance des Philippines en 1989 (Reston). Alors que la souche Reston, mortelle chez le singe, n'a jamais été associée à une maladie chez l'homme, les 4 souches africaines ont été responsables d'épidémies limitées à quelques dizaines ou centaines de cas, mais toujours marquées par une mortalité élevée bien que variable : 50 % pour la souche Soudan, 25 % «seulement» pour la souche Bundibugyo lors d'un épisode en 2007. Depuis 1976, une vingtaine d'épidémies de fièvre Ebola ont eu lieu, elles avaient toujours jusqu'ici épargné les pays d'Afrique de l'Ouest. Celle qui touche à présent la Guinée et le Libéria correspond à une première incursion du virus dans ces pays.

Restés longtemps mystérieux, le réservoir de virus et ses voies de transmission sont à présent pour partie identifiés. Des recherches ont montré que plusieurs espèces de chauves-souris africaines pouvaient porter le virus sans paraitre malades et le transmettre à l'homme, soit directement, soit indirectement par l'intermédiaire de singes ou d'autres animaux qui font une infection brève et souvent mortelle. L'homme se contamine initialement en manipulant ou en consommant les cadavres des animaux porteurs de virus.

On n'a pas progressé par contre dans le domaine thérapeutique, et on ne dispose aujourd'hui d'aucun traitement efficace contre les manifestations de l'infection par le virus Ebola. La ribavirine, active contre la fièvre de Lassa, une autre fièvre hémorragique virale due à un arenavirus endémique dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest, est sans effet dans le cas d'Ebola. La protection des populations et l'interruption des épidémies reposent entièrement sur les mesures de prévention et de limitation de la transmission, en particulier au personnel soignant. Bien que celle-ci puisse être évitée grâce à des mesures relativement simples (port de blouses, gants, surchaussures, lunettes et masques faciaux, traitement des déchets contaminés, prise en charge appropriée des dépouilles humaines), les moyens peuvent faire défaut et ne pas se trouver disponibles partout où ils sont nécessaires. L'incubation parfois longue de la maladie (jusqu'à 3 semaines) et le manque de moyens de diagnostic peuvent permettre à des individus porteurs du virus mais ne se sachant pas malades de se déplacer et de transmettre le virus à distance. Des épidémies peuvent ainsi progresser dans des pays peu préparés et équipés. On craint aussi qu'elles puissent être provoquées à des fins terroristes, et le virus Ebola, comme d'autres virus, fait l'objet d'une surveillance internationale attentive.

Cette situation a motivé des travaux visant à mettre au point un vaccin, particulièrement aux USA et en Russie. Plusieurs tentatives sont restées infructueuses, mais l'équipe de T. Geisbert, au Texas, est parvenue à des résultats très intéressants. En 2005, des travaux ont montré qu'il était possible d'obtenir une immunité protectrice contre les filovirus en utilisant comme vaccin des virus de la stomatite vésiculeuse (VSV) atténués modifiés pour exprimer la glycoprotéine des virus Ebola ou Marburg (un antigène présent à la surface des particules virales et des cellules infectées). Le vaccin obtenu a été inoculé à des singes; il a été bien toléré et il a totalement protégé les animaux contre une infection expérimentale par le virus sauvage correspondant. En 2008, il a été montré que le vaccin était également efficace lorsqu'il était administré peu de temps après l'infection par le virus Ebola, souche Soudan (3). Cependant, la protection restait limitée à la souche d'où provenait la glycoprotéine exprimée. En 2011, la co-expression, dans le virus VSV, de la glycoprotéine, de la nucléoprotéine et de la protéine VP40 d'un virus Soudan a permis de protéger des animaux (cette fois des cobayes) contre l'infection par un virus de la souche Zaïre, la plus pathogène des cinq connues. Chez le singe, une protection contre le virus Bundibugyo a pu être observée chez 75% des individus vaccinés contre la souche Zaïre, alors que la souche Forêt de Taï (initialement baptisée Côte d'Ivoire) n'a procuré aucune protection (4). La possibilité d'émergence de nouvelles souches a conduit les chercheurs à mettre au point un moyen d'obtenir une immunité croisée suffisamment efficace à partir des souches de virus connues et disponibles. T. Geisbert et ses collègues y sont parvenus par une stratégie «prime-boost», en inoculant deux VSV exprimant les glycoprotéines des virus Soudan et Zaïre à 2 semaines d'intervalle (5). Ils ont montré par ailleurs que les virus VSV recombinants ne présentaient plus la neurovirulence propre au VSV sauvage, lorsqu'ils sont directement inoculés dans le tissu cérébral (6). Ce test a permis aux inventeurs du vaccin de considérer qu'il pourrait à présent faire l'objet d'essais chez l'homme.

Une première utilisation a d'ailleurs déjà eu lieu dès 2009, à l'occasion d'un accident de laboratoire survenu en Allemagne (7). Un chercheur s'est piqué avec une seringue contenant du virus Ebola Zaïre. Après analyse de la situation, il a accepté de recevoir une injection de vaccin VSV-Zaïre 48 heures après l'accident. A part un bref épisode fébrile survenu 12 heures après la vaccination, il n'a présenté aucune pathologie ni aucun signe de réplication du virus Ebola dans les semaines qui ont suivi.

Aujourd'hui, comme nous l'indiquions dans notre nouvelle du 5 avril, T. Giesbert se dit prêt à utiliser son vaccin en Guinée, afin de venir en aide aux populations touchées par l'épidémie en cours. D'après de premières analyses, la souche de virus responsable de l'épidémie ne correspondrait à aucune des souches déjà connues (il s'agirait d'une 6ème souche), et la protection devrait alors faire appel à la stratégie "prime-boost" déjà testée par les chercheurs.

Références

  1. Tolou H. Fièvres hémorragiques virales, in «Médecine Tropicale», Marc Gentilini et coll., 6ème édition, Lavoisier, Paris, 2012, p. 744-747.

  2. Jones SM, Feldmann H, Ströher U, Geisbert JB, Fernando L, Grolla A, Klenk HD, Sullivan NJ, Volchkov VE, Fritz EA, Daddario KM, Hensley LE, Jahrling PB, Geisbert TW. Live attenuated recombinant vaccine protects nonhuman primates against Ebola and Marburg viruses. Nat Med. 2005 Jul;11(7):786-90.

  3. Geisbert TW, Daddario-DiCaprio KM, Williams KJ, Geisbert JB, Leung A, Feldmann F, Hensley LE, Feldmann H, Jones SM. Recombinant vesicular stomatitis virus vector mediates postexposure protection against Sudan Ebola hemorrhagic fever in nonhuman primates. J Virol. 2008;82(11):5664-8.

  4. Falzarano D, Feldmann F, Grolla A, Leung A, Ebihara H, Strong JE, Marzi A, Takada A, Jones S, Gren J, Geisbert J, Jones SM, Geisbert TW, Feldmann H. Single immunization with a monovalent vesicular stomatitis virus-based vaccine protects nonhuman primates against heterologous challenge with Bundibugyo ebolavirus. J Infect Dis. 2011;204 Suppl 3:S1082-9.

  5. Mire CE, Geisbert JB, Marzi A, Agans KN, Feldmann H, Geisbert TW. Vesicular stomatitis virus-based vaccines protect nonhuman primates against Bundibugyo ebolavirus. PLoS Negl Trop Dis. 2013;7(12):e2600.

  6. Mire CE, Miller AD, Carville A, Westmoreland SV, Geisbert JB, Mansfield KG, Feldmann H, Hensley LE, Geisbert TW. Recombinant vesicular stomatitis virus vaccine vectors expressing filovirus glycoproteins lack neurovirulence in nonhuman primates. PLoS Negl Trop Dis. 2012;6(3):e1567.

  7. Günther S, Feldmann H, Geisbert TW, Hensley LE, Rollin PE, Nichol ST, Ströher U, Artsob H, Peters CJ, Ksiazek TG, Becker S, ter Meulen J, Olschläger S, Schmidt-Chanasit J, Sudeck H, Burchard GD, Schmiedel S. Management of accidental exposure to Ebola virus in the biosafety level 4 laboratory, Hamburg, Germany. J Infect Dis. 2011;204 Suppl 3:S785-90.