Infections émergentes : l'OMS essaie de se préparer à la prochaine épidémie
L'épidémie de maladie à virus Ebola (MVE) qui s'est développée en Afrique de l'Ouest à la fin de 2013 a surpris par son ampleur. Elle a mis en évidence un manque de préparation de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la communauté internationale tout entière, qui ont pris avec beaucoup de retard les mesures permettant de mettre fin à la transmission du virus et d'empêcher son extension à d'autres pays. Les cas survenus dans plusieurs pays africains, en Espagne et aux Etats-Unis, ont sonné comme autant d'alarmes, démontrant une nouvelle fois la capacité de certains virus à provoquer des pandémies si des interventions déterminées ne sont pas entreprises.
Le manque de moyens de prévention ou de traitement spécifiques du virus Ebola a bien sûr constitué un handicap majeur dans la lutte contre l'épidémie, rendant difficile la protection d'une population exposée à plusieurs voies de transmission et celle des professionnels intervenant auprès des malades. Le recours à des mesures de protection et de traitement non spécifiques (diagnostic large et isolement des cas suspects, prise en charge des malades au meilleur niveau de soin, sécurisation des funérailles, protection des intervenants exposés par diverses mesures, dont le port d'équipements personnels de protection) dans des pays dotés de peu de moyens et désorganisés par la crise, a sollicité des ressources importantes et a nécessité une coordination internationale qui n'allait pas de soi.
On l'a beaucoup entendu, des leçons doivent être tirées de cet épisode afin que le prochain, s'il a lieu, ne nous trouve pas aussi démunis et peu réactifs. Dans ce but, l'OMS a réuni à Genève, les 8 et 9 décembre derniers, des spécialistes mondiaux des maladies infectieuses, afin qu'ils identifient les agents infectieux qui pourraient être responsables de prochaines épidémies redoutables.
Une brève présentation de cette réunion a été publiée sur le site de la revue Nature. Elle ne nous apprend pas grand-chose. On y lit que le danger pourrait venir à nouveau d'Ebola ou de son proche parent Marburg, mais aussi du coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV), des virus de la grippe, des virus Nipah ou Hendra, identifiés respectivement dans le Sud-est Asiatique et en Australie voici plusieurs années, ou de virus encore inconnus. Pour faire face à ces menaces, les spécialistes réunis considèrent que la meilleure attitude consisterait à apprendre à faire rapidement des vaccins, des médicaments et des outils de diagnostic.
On reste donc sur sa faim. Plusieurs agents susceptibles de causer non pas des pandémies de progression rapide sans doute, mais des problèmes sanitaires ou économiques importants, manquent à l'inventaire. Pour eux aussi, notre arsenal de moyens de prévention ou de traitement est bien incomplet. C'est le cas par exemple pour les virus de la fièvre de la Vallée du Rift (Afrique) ou de celle de Crimée-Congo (Afrique, Asie, Europe du Sud), plusieurs virus responsables d'encéphalites (dont les encéphalites à tiques d'Europe et d'Asie, les encéphalites équines d'Amérique), les hantavirus associés à des fièvres hémorragiques (Asie et Europe) ou à des atteintes respiratoires (Amérique). Un autre aspect "moderne" du risque infectieux a semble-t-il été passé sous silence : c'est celui de la dissémination accidentelle ou intentionnelle d'un agent infectieux naturel ou modifié. Pour l'essentiel, les mesures à opposer, si possible par anticipation, à une menace aussi diversifiée et évolutive restent à inventer.
Il était à l'évidence peu probable que des spécialistes habitués à s'exprimer fréquemment dans les médias, les réunions et les revues scientifiques (dont le directeur du NIAID américain, Anthony Fauci, Michael Osterholm et Thomas Geisbert, très en avant lors de l'épidémie de MVE), aient attendu la réunion de l'OMS pour faire part d'idées nouvelles sur le sujet. L'OMS, très critiquée pour son action et qui doit, de l'avis de tous, repenser son fonctionnement, aurait dû faire appel à une contribution plus large de la communauté scientifique, seule à même de faire émerger des idées plus originales venues de scientifiques moins sollicités et écoutés. On apprendrait ainsi qu'il serait très intéressant de renforcer les recherches sur les mécanismes physiopathologiques que les infections peuvent avoir en commun (par exemple, le syndrome hémorragique qui accompagne la MVE et fait souvent sa gravité est retrouvé dans les infections dues à plusieurs virus, bactéries et parasites ; un traitement du syndrome aurait donc de larges applications) ou sur la protection des voies par lesquelles les virus parviennent à nous infecter. Les vaccins qu'on sait fabriquer aujourd'hui ont une spécificité très étroite, souvent limitée à un agent ou même à une souche particulière de cet agent, et on ne peut pas les mettre au point et les tester avant que l'agent ait commencé à circuler. Au contraire, en étudiant les agents déjà identifiés, on accède aux connaissances nécessaires pour mettre au point des inhibiteurs de fonctions ou de mécanismes qu'ils partageront forcément, au moins en partie, avec des agents nouveaux quelque peu différents. Ainsi, des molécules dirigées contre d'anciens virus de la grippe sont également actives contre les virus de grippe aviaire d'apparition récente. Il faut toutefois disposer de beaucoup plus de ces molécules antivirales pour faire face à une grande variété de virus, tous capables de développer rapidement des résistances. Les recherches dans ce sens devraient être beaucoup plus actives, et non pas se concentrer comme aujourd'hui sur le VIH et le virus de l'hépatite C, deux marchés jugés rentables par les industriels …
L'épidémie d'Ebola passée, on l'espère, on attend plus de la prise de conscience qu'elle a suscitée.
Source : Nature News, 7 décembre 2015.
http://www.nature.com/news/disease-specialists-identify-post-ebola-threats-1.18952