Anticorps et covid 19 : il reste beaucoup d'inconnues

Publié le 2 nov. 2020 à 10h35

Biographie

MD, PhD, ancien directeur scientifique de l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), Brétigny sur Orge, France.

Habilitation à diriger les recherches.

Enseignant à l’Ecole du Val-de-Grâce, à l’université d’Aix-Marseille, à l’Institut de formation en soins infirmiers Saint Joseph, Marseille.

Expert auprès de Santé publique France, de la Haute autorité de santé (HAS) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC).

Membre du Comité de protection des personnes (CPP) Sud-Ouest et Outre-mer II.

Liens d'intérêt

Absence de lien avec l’industrie pharmaceutique.

Aucune participation à des études cliniques de médicaments ou vaccins.

Déclaration établie le 2 janvier 2012, mise à jour le 21 septembre 2021.

Depuis le début de l'épidémie de covid 19, beaucoup de questions sont posées concernant le rôle de l'immunité, et particulièrement la place que tiennent les anticorps dans l'évolution de la maladie, sa guérison et la protection éventuelle contre une seconde infection. La question de la persistance d'anticorps protecteurs chez les personnes infectées par le SARS-CoV-2 (le coronavirus responsable de la covid 19) est centrale, alors que le nombre de ces personnes ne cesse d'augmenter et que des vaccins pourraient bientôt être disponibles. Cette persistance, qui est la règle dans la plupart des maladies infectieuses, conditionne pour une grande partie la possibilité de l'établissement d'une immunité collective durable, capable dans un premier temps, sinon de mettre fin à l'épidémie, au moins d'en réduire les impacts sanitaire et socio-économique.

Sur ce sujet, deux études en apparence contradictoires viennent d'être publiées. Alors qu'une équipe anglaise annonce avoir observé le déclin rapide de l'immunité humorale dans un large échantillon de population (1), une équipe américaine rapporte la persistance d'une robuste réponse d'anticorps neutralisants au-delà de plusieurs mois (2).

L'étude anglaise a porté sur 365 104 adultes, à qui on a demandé d'effectuer chacun 3 autotests de détection des IgG anti-SARS-CoV-2 entre le 20 juin et le 28 septembre 2020. Elle met en évidence que la prévalence des personnes positives, mesurée à 6 % au début de la période, n'est plus que de 4,4 % après trois mois. Les anticorps deviennent plus souvent indétectables chez les personnes âgées de plus de 75 ans et celles qui ont eu des infections asymptomatiques, alors que le déclin est moindre chez les 18-24 ans et qu'il n'est pas observé chez les professionnels de santé. Les auteurs concluent à un possible risque de réinfection d'une population censée être protégée, alors qu'une nouvelle vague épidémique déferle.

L'observation rapportée par l'équipe du Mount Sinai, à New York, est tout autre. Entre mars et octobre 2020, un groupe de 30 082 personnes présentant des anticorps anti-protéine de surface (protéine S) du SARS-CoV-2 avec un titre supérieur à 1:80 a été constitué. Ces personnes avaient rapporté récemment soit une RT-PCR positive, soit des symptômes évocateurs de covid 19, soit un contact avec un cas confirmé. Etendue à un autre groupe de 2 347 personnes non malades mais trouvées porteuses du virus par RT-PCR (infection asymptomatique), l'étude a montré que, globalement, 95 % des personnes ayant été infectées présentaient des taux d'anticorps anti-S détectables. Ces taux ont été déterminés à l'aide d'un test ELISA très performant, permettant une analyse quantitative. Le pouvoir de neutralisation du virus a été recherché dans 120 sérums dont les titres ELISA variaient de 0 (négatif) à 1:2.880. Des anticorps neutralisants, probablement capables de protéger contre l'infection, ont été trouvés chez 50 % des personnes avec des titres d'anticorps faibles (1:80 ou 1:160), chez 90 % de celles avec un titre de 1:320, et chez toutes celles dont le titre dépassait 1:960. Les tests ELISA ont été répétés chez 121 personnes : ils ont montré que les anticorps se maintenaient à un niveau quasi-stable pendant 3 mois, avant de décroitre légèrement vers le 5ème mois.

Les deux études sont très différentes dans leurs conclusions, et elles diffèrent aussi significativement par leur méthodologie. Dans l'étude anglaise, les anticorps ont été détectés par les participants eux-mêmes avec un autotest, moins performant et sans doute moins fiable que le test ELISA du Mount Sinai, et ne donnant pas d'indication quantitative. Sur les trois campagnes de test effectuées, au début, au milieu et à la fin des trois mois, seuls 17 576 résultats ont été positifs. Le pouvoir neutralisant du sérum, qui n'a été recherché que pour 49 échantillons, n'a pas pu être corrélé à un titre d'anticorps circulants. Les auteurs soulignent d'autre part que la réalisation des tests a pu être parfois imparfaite et que des personnes avec un premier test positif ont pu négliger d'effectuer les tests suivants, entrainant une sous-estimation de la persistance des anticorps. L'étude américaine ne présente pas les mêmes limitations, mais elle ne démontre la persistance des anticorps que sur une période tout de même courte, et n'établit pas que ces anticorps assurent une protection contre une ré-infection.

Alors qu'on se demande quelle sera l'efficacité des vaccins, et que certains proposent la délivrance de "passeports d'immunité" aux personnes guéries de la covid 19, on voit que les connaissances restent très imparfaites. A ce stade, quel que soit le statut sérologique des personnes, les mesures physiques s'opposant à la transmission du virus restent recommandées.

Références

  1. H. Ward, G. Cooke et coll. Declining prevalence of antibody positivity to SARS-CoV-2: a community study of 365 000 adults.
  2. A. Wajnberg, F. Amanat et coll. Robust neutralizing antibodies to SARS-CoV-2 infection persist for months.