France : avis du Comité de Veille et d’Anticipation des Risques Sanitaires sur le risque sanitaire lié à l’influenza aviaire hautement pathogène

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Le 8 juin 2023, Comité de Veille et d’Anticipation des Risques Sanitaires (COVARS) a publié un avis sur le risque sanitaire de grippe aviaire lié à l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP).

1. Point de situation épidémiologique

Depuis 2020, on assiste à une résurgence du virus H5N1 HP au niveau mondial, avec une continuité de la circulation à l’été 2022 :

  • L’Amérique du Nord est touchée depuis la fin 2021, et depuis octobre 2022 plusieurs pays d’Amérique centrale et du sud sont touchés.
  • En Europe, depuis août 2022, le clade circulant est le 2.3.4.4.b, avec une prévalence de plus de 99% du virus H5N1. Depuis cette date, on dénombrent des foyers chez les volailles d’élevage (n=712), les oiseaux captifs non destinés à l’élevage (n=284) et la faune aviaire sauvage (n=1 239). Parallèlement plusieurs cas ont été rapportés chez des mammifères.
  • En France, un premier foyer d’H5N1 HP (clade 2.3.4.4b) a été confirmé en novembre 2021, signant le début d’une épizootie sans précédent qui a touché le pays en 2021-2022. En 2023, les premiers mois de l’année ont été marqués par une accalmie dans les élevages, mais de nouveaux foyers sont apparus dans le Sud-Ouest depuis mai.

Chez l’homme, ces dernières années, plusieurs cas de grippe aviaire impliquant les virus H9N2, H7N7 ou H5N1 ont été rapportés. Concernant le virus A(H5N1), le risque d’infection chez l’homme a été découvert en 1997 à Hong Kong chez un enfant de 3 ans. Depuis 2003, le virus A (H5N1) a été responsable de 873 cas humains et 458 décès (taux de létalité = 52%), dont 6 cas détectés au cours du dernier trimestre 2023 (2 en Espagne, 1 en Chine, 1 en Equateur et 2 au Cambodge). Toutefois, depuis 2016, le nombre de cas humain annuels diminue.

2. Risque de transmission chez les mammifères et chez l’homme

Plusieurs éléments nouveaux par rapport aux années précédentes sont de nature à accroitre le risque pour la santé humaine :

  • Un risque d’endémisation dû à la continuité de circulation à un haut niveau de portage de l’avifaune sauvage, à la persistance inédite du virus dans l’environnement et à l’homogénéisation du sous-type 2.3.3.4b au niveau mondial. L’endémisation multiplie les possibilités de contamination des oiseaux d’élevage
  • Des foyers de mortalité importants dans l’avifaune sauvage sur deux saisons consécutives, en 2021 et 2022 et un haut niveau de détection dans l’avifaune en Europe. (En 2022, le taux de positivité chez les oiseaux morts collectés était de 25%).
  • Des événements de passage de barrière d’espèce dans une diversité croissante de mammifères, et des cas de transmission chez plus de 20 espèces de mammifères marins et terrestres.
    • En France, à ce jour, 3 cas d’infection de mammifères par les virus IAHP clade 2.3.4.4.b ont été identifiés : chez un ours à collier captif infecté en novembre 2022 dans un parc zoologique ; chez un chat domestique le 20 décembre 2022 près d’une exploitation de canards, sans transmission à l’humain, et chez un renard roux sauvage dans une zone où des mouettes mortes ont été retrouvées en février 2023.
    • Aux Pays-Bas, des contaminations individuelles d’H5N1 ont été détectées à l’automne 2022 chez les renards, loutres et putois, avec des symptômes nerveux et une mortalité importante.
    • En Espagne, l’H5N1 a été détecté dans une ferme de visons, avec une transmission inter-animale de contact avérée ayant conduit à l’abattage préventif de plus de 50 000 animaux. Aucun cas de transmission aux éleveurs n’a été observé sans pouvoir écarter avec certitude la capacité de transmission de ce virus à l’homme.
    • En Amérique du Nord, une transmission entre phoques sauvages a été observée, ainsi qu’une transmission à un ourson noir dans le sud de l’Alaska.
    • Au Pérou, le H5N1 a franchi la barrière des espèces en infectant les otaries à crinière, causant 3 500 pertes, soit plus de 3% de la population d’otaries du pays.

L’augmentation de la diversité des mammifères touchés est un facteur d’alerte, dans la mesure où toute sortie du réservoir aviaire pour un autre réservoir accroit le risque pour l’homme. Toutefois, le virus n’a pas, à ce jour, de mutation permettant une diffusion aérienne pérenne entre mammifères d’une même espèce. La détection de passages ponctuels du virus des oiseaux aux mammifères n’en demeure pas moins inquiétante, dans la mesure où, plus le virus infecte de mammifères, plus il est susceptible d’acquérir des mutations favorisant son adaptation aux humains et sa capacité à devenir contagieux pour notre espèce.

L’OMS a jugé la situation ”préoccupante” à la suite de la mort d'un enfant des suites du H5N1 au Cambodge (cas rapporté le 22 février 2023), appelant tous les pays à une vigilance accrue. La présence de liens familiaux entre 22 cas détectés au Cambodge est source d’inquiétude car la potentialité d’une transmission interhumaine ne peut être entièrement écartée dans la mesure où les virus influenza sont intrinsèquement évolutifs et ont des mutations particulièrement intenses. Ce foisonnement génétique augmente la probabilité de l’émergence d’une mutation favorable à la transmission vers l’humain.

Les pratiques d’élevage (élevage en plein air, élevage intensif d’oiseaux génétiquement proches d’une durée de vie courte empêchant l’acquisition d’une immunité spécifique), le réchauffement climatique qui joue sur les migrations d’oiseaux (migration vers le sud retardée, arrivée plus précoce de migrateur dans le nord) et la diminution en surface et qualité des zones de quiétudes et de nourrissage des oiseaux ont un impact sur les risques de contamination.

3. En France, la prévention et la lutte contre l’IAHP repose sur trois axes, la surveillance, les mesures de biosécurité et la vaccination.

3.1. Dispositifs de surveillance

Il existe une surveillance passive de la mortalité de l’ avifaune sauvage , les mammifères sauvages n’étant pas encore surveillés. La possibilité du passage à une surveillance active dans le cadre de la prévention contre l'IAHP semble compromise par la faiblesse de moyens humains et économiques alloués aux acteurs chargés de la surveillance. Une surveillance environnementale qui consiste à analyser les traces de virus présentes dans les excrétions d’oiseaux dans l’environnement est en place autour des élevage, mais son application à la faune sauvage est limitée. La surveillance des animaux d’élevage , tant passive qu’active qui conduit à des mesures de biosécurité et de gestion suivant les recommandations de l’ANSES est en place, mais ces mesures sont inégalement suivies par les éleveurs. La surveillance humaine des cas de grippe zoonotique cible les personnes exposées au risque qui sont symptomatiques. Elles doivent alors bénéficier d’un test RT-PCR qui cible la grippe saisonnière et le Covid-19. En cas de suspicion de grippe zoonotique le cas doit être signalé à l’ARS qui adresse l’échantillon au CNR des virus à infections respiratoire. Un protocole de surveillance active des personnels exposés (éleveurs, intervenants, vétérinaires) est en cours d’élaboration. Compte tenu de l’épidémiologie actuelle, cette stratégie requiert des moyens humains et financiers considérables.

3.2. Vaccination

Une stratégie de vaccination des élevages va être finalisée en juin et devrait permettre de vacciner en préventif les élevages commerciaux de canards pour l’automne 2023 si toutes les conditions sont réunies (confirmation de l’efficacité vaccinale des vaccins candidats, autorisation, validation par le ministère de la stratégie vaccinale et des conditions de son déploiement, capacité des acteurs de l’industrie pharmaceutique à produire le(s) vaccin(s).... Cette vaccination a pour objectif de réduire l’excrétion virale pour ralentir la transmission, mais également de réduire le risque statistique de mutation du virus, limiter le nombre de personnes exposées et ainsi maîtriser le risque pour la santé humaine. L’ANSES élabore une stratégie vaccinale devant permettre d’arrêter l’abattage préventif des canards en cas de foyers, ce qui permettrait de recueillir l’adhésion des éleveurs à la vaccination.

La seule stratégie de vaccination humaine contre la grippe aviaire repose sur la vaccination contre la grippe saisonnière, recommandée chez les professionnels exposés aux virus porcins et aviaires (éleveurs, vétérinaires, techniciens) afin de réduire le risque de transmission des virus de la grippe saisonnière aux animaux d’élevage, et de limiter le risque de co-infection virus humains et aviaires qui favorise le réassortiment entre les deux virus susceptible de conduire à l’émergence de nouvelles souches virales pandémique. Si des traitements antiviraux classiques sont disponibles en France, de nouveaux anti-viraux déjà autorisés dans certains pays présentent de nombreux avantages pour les cas humains de grippe aviaire et devraient occuper une place essentielle dans la préparation et la gestion de pandémie de grippe aviaire en attendant le déploiement d’une stratégie vaccinale humaine adaptée (baloxavir marboxil (Xofluza*, Roche) en monodose, approuvé en Europe depuis 2021 mais non disponible en France). Enfin, des programmes de recherches sur l’influenza aviaire sont en cours.

  • 4. Recommandations du COVARS

Malgré ces actions, la circulation de l’IAHP continue et le risque d’endémisation augmente, accroissant les risques sanitaires pour la population humaine. Il est ainsi nécessaire de renforcer les actions multidisciplinaires et multisectorielles visant à lutter contre ce risque en se concentrant sur quatre enjeux : la vaccination, les mesures préventives à appliquer dans les élevages, la surveillance animale et humaine et les financements de recherche sur la question de la grippe aviaire et de l’IAHP.

Le COVARS, adoptant une approche « One Health », intégrant les avis de différentes agences, recommande de :

  • Mener dès que possible une stratégie de vaccination des volailles, employant la stratégie DIVA (Differentiating Infected from Vaccinated Animals, méthode qui permet de différencier les anticorps induits par le vaccin des anticorps produits contre le virus), accompagnée d’une communication ciblée, en complément des mesures de biosécurité, dans un cadre d’approche globale de gestion de l’élevage.
  • Étendre la recommandation de vaccination contre la grippe saisonnière aux personnes exposées, en contact avec des oiseaux potentiellement porteurs du virus (chasseurs et personnels chargés de la surveillance …).
  • Adapter les mesures de prévention et gestion des élevages en recherchant des alternatives à l’abattage préventif (y compris via la vaccination), en améliorant les conditions d’euthanasie des animaux d’élevage, et en développant des mesures d’accompagnement des éleveurs touchés.
  • Étendre et renforcer les moyens humains et financiers de la surveillance animale et humaine, qui doit être homogénéisée au niveau national (notamment dans les Territoires Ultra-Marins).
  • Intensifier la surveillance des espèces sauvages par l’Office Français de la Biodiversité, favoriser l’analyse de l’ADN environnemental adaptée aux conditions épidémiologiques et la surveillance participative.
  • Faciliter la coopération entre médecine vétérinaire et humaine dans les élevages autour des volailles infectées, et permettre que des prélèvements respiratoires humains soient effectués soit par auto-prélèvement soit par les vétérinaires et les diagnostic réalisés dans les Laboratoires Nationaux de Référence.
  • Constituer et diversifier des stocks d’antiviraux efficaces et adaptés aux situations d’urgence de grippe aviaire. (A ce titre il est recommandé d’accélérer les conditions réglementaires d'accès aux nouveaux antiviraux actifs sur les divers virus influenza, comme le baloxavir marboxil en monodose).
  • Composer des stocks stratégiques de vaccins pré-pandémiques. (Les virus qui circulent actuellement, même s'ils n'ont pas acquis les mutations de transmission à l'homme, peuvent servir de base à des vaccins candidats pour être utilisés dans le cadre d'une éventuelle transmission de ce virus à l'homme. En cas de pandémie, la stratégie proposée est de faire une vaccination avec d'abord un vaccin de priming dont il faudrait avoir un stock et qui serait du même sous-type mais ne serait pas exactement le même que le virus pandémique, suivie d'une deuxième dose qui serait administrée entre trois et cinq semaines plus tard, avec un vaccin réalisé à partir du virus le plus proche possible du virus qui circule.)
  • Créer une cellule de crise multi-disciplinaire rapidement mobilisable en cas de crise composée de laboratoires de départements et de vétérinaires dédiés à la filière avicole afin de renforcer la coordination locale/nationale.
  • Financer des recherches de long terme en santé animale et humaine, en virologie/immunologie, écologie, modélisation et en sciences humaines et sociales, ainsi que des recherches participatives, afin de mieux protéger les espèces animales et les populations humaines, mieux appréhender les écosystèmes, les virus IAHP et leurs conséquences, et mieux apprécier les risques de pandémie.

Source : Comité de Veille et d’Anticipation des Risques Sanitaires