Résistances culturelles, politiques et religieuses à la vaccination dans les pays du Sud de l’Asie

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La vaccination est l'une des interventions médicales les plus efficaces si l'on considère le nombre de vies sauvées. Pourtant, en 2009, l'OMS, l'UNICEF et la Banque mondiale estimaient à 24 millions le nombre d'enfants dans le monde non vaccinés ou incomplètement vaccinés. L'incapacité d'obtenir une immunité collective suffisante rend impossible l'élimination des maladies infectieuses cibles. Comment atteindre le quatrième Objectif du Millénaire pour le Développement de réduire la mortalité infantile quand de nombreux enfants continuent de mourir de maladies évitables par la vaccination ?

Les obstacles à l'augmentation des taux de couverture vaccinale sont à rechercher autant du côté de l'offre que du côté de la demande. A partir de travaux réalisés dans trois pays d'Asie du Sud (Pakistan, Inde et Bangladesh) cet revue critique examine les limites bien connues des programmes de vaccination (chaîne du froid, stockage, gestion et logistique) mais explore surtout les résistances existant du côté de la demande, liées aux symbolismes politique, social et religieux, qui ne sont pas suffisamment étudiées ni prises en compte.

La vaccination a pu éradiquer la variole dans le monde et éliminer la diphtérie et la poliomyélite dans les pays développés grâce à la réalisation et au maintient d'une couverture vaccinale suffisamment large pou conférer une immunité de groupe. Pourtant, des résistances à la vaccination, même limitées à de petites communautés au sein d'une population, peuvent ruiner des années d'efforts engagés pour éliminer une maladie infectieuse.

La question est cruciale dans un pays comme l'Inde où la vaccination annuelle de 25 millions de nouveau-nés représentait environ 80% du budget de la santé en 2000, cette situation justifiant la mise en œuvre de programmes centralisés sous l'égide d'organisations internationales telles que l'OMS et l'UNICEF, laissant peu de place aux préoccupations et aux demandes de la communauté. Du côté de l'offre, les systèmes de santé manquent d'infrastructures et de services mobiles pour atteindre les zones les plus isolées alors que les agents de santé n'ont pas une formation suffisante. Les interventions pour accroître la couverture vaccinale ont consisté à sensibiliser les populations cibles en améliorant leurs connaissances sur la vaccination, sans essayer de comprendre les véritables causes de résistance. De telles interventions n'entraînent pas une augmentation de la demande active des parents, mais plutôt une acceptation passive de la vaccination proposée, ce qui ne garantit pas une compliance durable. Même après avoir compris le but de la vaccination, les parents peuvent la rejeter pour des raisons politiques, religieuses ou culturelles.

Les vaccinations peuvent focaliser des mouvements de contestation ou de revendication d'origine nationaliste ou religieuse. En 1987, un programme de vaccination indo-américain a été l'objet d'une importante controverse accusant les États-Unis d'utiliser la population indienne comme cobayes. En 2007, les parents de 24.000 enfants dans le nord-ouest du Pakistan ont refusé la vaccination contre la polio sur des arguments religieux et la conviction que ces injections étaient un stratagème occidental pour stériliser les enfants musulmans. La plupart des fatwas contre les vaccinations étaient lancées en réaction à des événements : celle qui a interdit la vaccination de 2.000 enfants contre la polio à Bajaur répliquait à un bombardement américain qui a raté sa cible (le numéro deux d'Al-Qaïda) mais a tué de nombreux civils. Les troubles politiques et militaires qui agitent cette région ont des conséquences désastreuses sur l'acceptation des vaccins.

En outre, le souvenir de pratiques coercitives de santé, comme la stérilisation forcée mise en œuvre en Inde pour réduire la croissance de la population dans les années 1970, est encore vivace dans l'imaginaire collectif et jette la suspicion sur le but réel des vaccinations. L'opposition à la vaccination, vécue comme une menace à l'autonomie nationale, a toujours existé dans le sous-continent indien. Cette dissidence faisait écho à l'opinion de Gandhi selon laquelle les vaccinations s'inscrivaient dans une pratique médicale essentiellement étrangère, portant atteinte à la recherche d'autres solutions (hygiène et assainissement) et annonçant une forme de "décadence de civilisation" parce qu'elle se concentre sur le corps et non sur l'âme.

Bien que la variolisation ait été largement pratiquée en Inde par des guérisseurs indigènes pour prévenir la variole, son remplacement par la vaccination a suscité des doutes et des inquiétudes en raison de ses effets indésirables et parce que, n'étant pas administrée par des guérisseurs, elle perdait toute signification religieuse.

La médecine moderne et la médecine indigène coexistent en Asie du Sud. Mais comment faire admettre des interventions vaccinales en s'adaptant au contexte culturel dans une langue compréhensible ?

L'Inde avait lancé l'initiative nationale Polio Pulse en 1995 avec l'objectif d'éliminer la poliomyélite avant 2005. Cet objectif n'était toujours pas atteint en 2011, des poches de résistance persistant dans les États de l'Uttar Pradesh et du Bihar au sein de communautés musulmanes où la couverture vaccinale restait inférieure à la moyenne nationale. Dans ces États, l'implication des chefs religieux locaux a joué un rôle crucial dans le soutien aux vaccinations et a permis d'atteindre l'objectif d'élimination en 2012. Ce succès couronne une volonté politique d'éliminer la polio, mais aussi une mobilisation communautaire suffisante pour surmonter les résistances. Cette expérience peut servir de modèle vis-à-vis d'autres obstacles culturels et politiques à la vaccination contre d'autres maladies infectieuses.

Pour éliminer les maladies infectieuses, la vaccination doit être une activité pérenne qu'il faut intégrer dans les habitudes communautaires. Cela nécessite une communication bidirectionnelle entre la population, dont il faut gagner la confiance, et les exécutants, qui doivent adapter leur programme au contexte socio-culturel dans lequel ils travaillent.

Source : Fiza Salim, Human Welfare, 2012 ; 1 : 91-104.