Ebola : la fin de l'épidémie est en vue, mais il reste beaucoup à faire
Un peu plus de 18 mois après qu'elle ait été déclarée, en mars 2014, il semble qu'on puisse à présent évoquer la fin de l'épidémie de maladie à virus Ebola (MVE) qui a frappé l'Afrique de l'Ouest. Cette épidémie, qui s'est développée pour l'essentiel en Guinée, Sierra Leone et au Liberia, a fait plus de 28 000 cas (dont plus de 15 000 confirmés, les autres pouvant correspondre à des cas de fièvre de Lassa, de paludisme grave ou d'autres infections aiguës provoquant des symptômes comparables) et plus de 11 000 victimes. C'est la première fois, depuis l'émergence du virus Ebola au Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) et au Soudan en 1976, que l'épidémie atteint une telle ampleur, échappant à tout contrôle pour s'étendre à toute une région du continent et provoquer des foyers à distance (au Mali, au Nigéria, mais aussi en Espagne et aux Etats-Unis d'Amérique). Il a fallu, pour en venir à bout, que se mobilisent et se coordonnent des compétences et des moyens venus de plusieurs pays étrangers, y compris des moyens militaires, appuyant des ONG qui n'arrivaient plus à faire face seules à la gravité de la situation. Des recherches ont été engagées ou accélérées pour mettre au point au plus vite des vaccins ou des molécules antivirales : jamais un tel effort de recherche n'avait été produit concernant ce virus, pourtant connu et souvent présenté comme l'un des plus redoutables.
La France a grandement contribué aux actions mises en œuvre contre l'épidémie, principalement en Guinée (un accord international a attribué à trois pays la coordination des actions de lutte dans les trois pays touchés : France pour la Guinée, Royaume Uni pour la Sierra Leone, Etats-Unis pour le Liberia). Plusieurs ministères (Affaires étrangères, Défense, Intérieur) et services publics, des ONG (Croix Rouge française, Alima) et les grands instituts de recherche (INSERM, Institut Pasteur) ont été mobilisés. Tous ces acteurs étaient réunis le 29 octobre à Paris pour un indispensable "RETEX" (retour d'expérience) destiné à analyser les forces et les faiblesses du dispositif déployé, afin d'améliorer la riposte en cas de reprise de l'épisode ou de nouvelle épidémie survenant en tout point de globe. L'assemblée a pu se féliciter de la fin prochaine probable de l'épidémie, du travail accompli par les ONG et la Sécurité civile, d'une excellente collaboration entre structures civiles et militaires et des premiers résultats des essais de vaccins ou de traitements antiviraux ; mais la liste des efforts restant à accomplir a été plus longue encore.
- Le manque de réactivité et l'impuissance de l'OMS ont été relevés par de nombreux observateurs qui demandent aujourd'hui une réforme en profondeur de cet organisme. Certains évoquent même la nécessité d'un remplacement par une nouvelle structure, dotée de moyens suffisants, plus réactive et indépendante.
- Il a été constaté que les difficultés de la communauté internationale à identifier une stratégie et à coordonner les différents acteurs impliqués (états, sociétés civiles, acteurs régionaux et internationaux, civils et militaires) ont "retardé la réponse dans son ensemble et engendré des coûts humains et financiers supplémentaires". Façon pudique de dire que si l'OMS et les pays industrialisés s'étaient montrés plus réactifs, alors qu'ils connaissaient les mesures à prendre et qu'ils savaient que les pays touchés n'avaient pas la capacité de faire face, l'épidémie aurait pu être contrôlée à moindre frais et n'aurait pas fait 11 000 morts.
- La nécessité, pour les pays qui en ont les moyens, de "prendre en compte un risque d'émergence de maladies infectieuses graves hautement contagieuses ainsi que leur capacité de diffusion internationale" a été soulignée. Cette prise en compte est insuffisante à ce jour, malgré les crises antérieures du SRAS ou de la grippe H1N1. La préparation à cette éventualité doit englober la gestion de crise sur le territoire national, et s'étendre au suivi des survivants, l'épidémie de MVE ayant montré que ceux-ci sont exposés à des risques multiples : séquelles, récidives, stigmatisation, perte d'emploi… Le directeur de l'Institut Pasteur, intervenant sur ce point, a déclaré qu'il réfléchissait à la création d'équipes en mesure de mener rapidement des investigations initiales sur les événements pouvant faire craindre le début d'une épidémie.
- La recherche sur le virus Ebola et la MVE n'a pas été très active avant ce nouvel épisode. A ce sujet, le programme du RETEX indique que "il est possible de s'interroger sur une possible faille dans la réflexion sur les orientations stratégiques tant au niveau public qu'industriel". Autrement dit, la recherche internationale, publique ou privée, n'a pas voulu ou pas pu identifier d'axe de recherche pertinent, visant à développer des moyens de prévention ou de protection contre une éventuelle épidémie d'Ebola, sans pour autant détourner des ressources nécessaires pour d'autres thématiques plus prégnantes. Des pays, dont la France, et la Communauté Européenne, s'engagent cependant à financer rapidement et de façon importante cette recherche. De façon remarquable, elle devra mettre en avant des études des facteurs humains et sociologiques qui ont un impact sur la progression des épidémies et l'efficacité des contre-mesures.
- Sur le terrain, "plusieurs méthodes d'intervention inédites ont été déployées dans les trois pays principalement affectés" ; il est nécessaire d'en faire le bilan et l'évaluation, et aussi de rechercher les moyens d'établir une relation de confiance entre les populations affectées et les équipes sanitaires. Il faut s'intéresser en outre à la gestion des régions frontalières, afin de limiter la propagation de l'épidémie.
- Il a été rappelé enfin qu'une épidémie grave n'est pas seulement un problème de nature médicale, mais une crise sanitaire avec des implications sur tous les secteurs vitaux d'un pays : santé, formation, activités agricoles et industrielles, transports, sécurité, économie dans son ensemble. Il s'agit de problématiques complexes, nécessitant une réflexion sur les mesures destinées à sauvegarder l'économie pendant la crise et sur les stratégies de relance et la priorisation des actions à mener en sortie de crise.
On peut constater que, à ce stade d'une crise qui a duré plus d'un an et demi et représenté une véritable menace pour la santé internationale, beaucoup des leçons tirées manquent d'originalité, et qu'elles auraient pu l'être beaucoup plus tôt. Pour l'essentiel, elles figurent dans une nouvelle publiée sur ce site le 16 octobre 2014, soit il y a plus d'un an, alors que la réponse internationale en était encore à l'état de réflexion.
En particulier, l'établissement de relations de confiance avec les populations, suivi de la mise en place d'une stratégie de diagnostic, d'isolement et de prise en charge très active des cas, que ces relations rendaient seules possibles, était présenté comme un objectif prioritaire.
Concernant les autres orientations, on comprend bien que toutes les menaces (celles que l'on peut identifier et les autres) ne peuvent pas faire l'objet d'actions qui sollicitent des ressources importantes (qu'il s'agisse de recherches, d'acquisition d'équipements ou de contre-mesures, de formation et entraînement de ressources humaines spécialisées), tant ces menaces sont nombreuses et leur probabilité incertaine. Avant l'épidémie de 2014-2015, Ebola n'était que l'une de ces menaces hypothétiques et ne pouvait donc constituer une priorité devant des maladies aussi répandus que le sida, les hépatites, le paludisme, la tuberculose par exemple, pour ne parler que des maladies infectieuses. Comment identifier dans ce cas les recherches à effectuer et les moyens à leur accorder ? Qui paiera pour des recherches longues et complexes si Ebola ne fait plus parler de lui quelque temps, ou si un autre virus devient une priorité ? Si ces recherches ne visent que la mise au point de vaccins, il convient de se demander quelle en sera l'utilité : la prochaine crise sanitaire sera-t-elle due à Ebola (et à un virus pas trop différent de celui qui est la cible du vaccin) ? Qui voudra se faire vacciner ? Qui paiera les vaccins ?
Nous avions donné quelques pistes possibles pour des recherches "rentables", et donc susceptibles de trouver des financements sur le long terme, dans notre nouvelle du 26 octobre 2014.
La préparation d'équipes rapidement mobilisables, dotées des compétences et des équipements adaptés pour mener les investigations initiales sur les événements suspects pouvant indiquer le début d'une épidémie, est une idée de bon sens. Elle a déjà donné lieu à des réalisations, particulièrement dans le Service de santé des armées français. Cette expérience peut être utile à tous.
Le constat effectué lors du RETEX aurait pu aller plus loin. Les causes du retard (6 mois environ) pris entre la déclaration de l'épidémie par l'OMS et la mise en place, par différents pays, des moyens bien connus qui allaient permettre de la contrôler n'ont été que partiellement présentées. Certes, il fallait coordonner des actions internationales complexes. Mais il semble aussi que l'affectation préférentielle des ressources à des stratégies de recherche (vaccins et antiviraux), a pu dans cette période limiter celles qui restaient disponibles pour d'autres actions.
La part prise par d'autres infections dans la survenue de cas se présentant comme des cas de MVE n'a pas été évoquée. De fait, les données sur ce sujet seront difficiles à préciser, puisque les centres de traitement qui recevaient les cas suspects de MVE ne recherchaient pas en général d'autre diagnostic. Il est pourtant évident que la transmission du paludisme ou d'autres infections, dont la fièvre de Lassa, ne s'est pas ralentie durant la crise Ebola ; elle a même sûrement été favorisée par la désorganisation des systèmes de santé et les réactions de défiance des populations. Il y a là matière à une réflexion importante si l'on veut éviter que la prise en compte d'une épidémie ne facilite l'extension ou l'émergence d'une autre.