Poliomyélite : éradication repoussée

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En 1988, bien que des vaccins fussent disponibles depuis plus de 30 ans, la poliomyélite infectait encore 350 000 personnes par an dans le monde, et elle en tuait environ 30 000. Après le succès remporté sur la variole, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a alors décidé de lancer un nouveau programme d’éradication, basé sur le renforcement des programmes de vaccination, la surveillance planétaire des cas de paralysie flasque, des campagnes de vaccination ciblées sur tous les foyers détectés. Ce programme avait pour objectif l’arrêt définitif de la circulation des virus poliomyélitiques, celui des interventions justifiées par la maladie et celui de la vaccination anti-poliomyélitique en 2000. Seule la surveillance devra rester active.

Le point de situation proposé par D. Antona et N. Guérin dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) du 21 décembre 2010 met à jour nos informations sur ce sujet ; il rapporte que l’objectif d’éradication n’a pas été atteint et qu’un certain nombre de difficultés se dressent à présent sur sa route. Dès 2008, devant le constat effectué, l’Assemblée mondiale de la santé a établi un nouveau plan visant l’arrêt de la transmission des poliovirus sauvages (PVS) fin 2013. A cette date, il ne sera donc pas encore question d’éradication, puisque celle-ci devra prendre en compte également les cas de poliomyélite dus à des virus d’origine vaccinale (PVDV) et passer par des mesures complexes ou lourdes de conséquences potentielles que sont la limitation et le contrôle des laboratoires mondiaux détenant encore des virus de la poliomyélite et l’arrêt complet des vaccinations dans tous les pays.

La poliomyélite a considérablement reculé ces 10 dernières années grâce à l’utilisation des vaccins oraux d’abord trivalents, puis mono- et plus récemment divalents, et grâce à une surveillance mondiale relativement efficace. En particulier, le dernier plan stratégique de l’Imep (Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite) a permis la réduction remarquable du nombre de cas encore déclarés dans les 4 pays endémiques restants (Afghanistan, Inde, Nigéria et Pakistan), l’arrêt des épidémies observées dans 15 pays, essentiellement africains, dont le Soudan. Cependant, dans le même temps, de nouvelles épidémies se sont déclarées, comme au Congo mais aussi au Tadjikistan (pays de la zone Europe de l’OMS, où l’élimination du virus avait été déclarée en 2002).

Les défis à relever pour parvenir maintenant à l’éradication sont nombreux :

  • Etablir et maintenir en tout lieu une couverture vaccinale suffisante, chez les enfants mais aussi chez les adultes dont l’immunité ancienne devient inefficace,
  • Disposer de moyens de surveillance aptes à détecter tout nouveau cas ou foyer pouvant être la conséquence de l’importation de virus depuis des zones d’endémie ou de la mise en circulation de virus pathogènes d’origine vaccinale,
  • Optimiser l’utilisation des vaccins oraux, en particulier les vaccins monovalents type 1 ou 3, très efficaces mais laissant la place pour des épidémies dues aux virus des autres types,
  • Produire et mettre à disposition les quantités nécessaires de ces vaccins, dans chaque formulation, tri-, di- et monovalents,
  • Contrôler le risque de ré-émergence de la maladie du à l’excrétion prolongée de virus par des sujets immunodéprimés devenus porteurs chroniques de virus vaccinaux,
  • Etablir une procédure et un calendrier de bascule du vaccin oral, actuellement justifié, au vaccin injectable (encore appelé vaccin tué) qui devra être utilisé dans une phase ultime pour mettre fin à la circulation de tout poliovirus vivant,
  • Confiner strictement les poliovirus qui ne devront être conservés que dans des laboratoires en nombre restreint, alors que des milliers de laboratoires les possèdent aujourd’hui de par le monde. Après l’arrêt généralisé de la vaccination, le niveau de confinement exigé pour le poliovirus sera le niveau 4, comme il l’est à présent pour la variole.

Beaucoup de choses pourraient enrayer la belle mécanique qui doit se mettre en place, et établir une surveillance fiable ou assurer une couverture vaccinale correcte apparaissent comme des gageures dans beaucoup de pays faisant face en outre à des difficultés multiples. Même dans les pays favorisés comme le nôtre, il convient de ne pas baisser la garde : des études montrent que la couverture vaccinale devient insuffisante dans la population adulte.

On ne peut que partager la conclusion de D. Antona et N. Guérin, indiquant que la date de l’interruption totale de la vaccination anti-poliomyélitique ne peut être avancée aujourd’hui.

Source : Institut de veille sanitaire.