SARS-CoV-2 : la sélection exercée par des sérums de convalescents permet l'apparition de variants dans des circonstances très particulières

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Les mutations du SARS-CoV-2 (le coronavirus responsable de la covid 19) suscitent des inquiétudes, particulièrement depuis l'apparition de "variants" (des souches de virus qui ont subi une ou plusieurs mutations qui leur donnent un avantage leur permettant de se répandre plus efficacement) qui viennent s'ajouter ou remplacer les souches de virus initiales. Les mutations sont spontanées, mais ensuite la sélection des variants les plus aptes à se reproduire peut se faire sur des critères et par des mécanismes divers. Ainsi, une meilleure aptitude à se transmettre d'individu à individu, qui peut reposer sur une meilleure affinité pour un récepteur présent sur les cellules, ou sur la production de particules virales plus nombreuses ou résistantes, peut constituer un "avantage sélectif" : c'est celui qu'a acquis le " variant anglais", responsable d'infections de plus en plus nombreuses, mais dont la gravité ou la résistance aux traitements n'ont pas été modifiées.

Lorsque le virus nous infecte, il déclenche une réponse immunitaire : en quelques jours, des anticorps et des cellules qui reconnaissent ses antigènes sont produits et parviennent, le plus souvent, à mettre fin à l'infection. En cas de nouveau contact avec le même virus, les anticorps et cellules déjà présents ou produits de façon accélérée grâce aux cellules "mémoires" laissées par le premier contact, empêchent une deuxième infection de se développer. Un résultat identique est obtenu avec un vaccin. Déjouer ce système de défense peut donner un avantage au virus : c'est un moyen pour lui de continuer à se répliquer et à se transmettre dans une population, même lorsque les individus ont déjà été immunisés. La confrontation du virus avec l'immunité développée au cours d'une infection ou par la vaccination est susceptible de sélectionner des variants dits d'échappement, contre lesquels des anticorps et cellules produits contre le virus original sont sans effet et dont nous n'avons pas la mémoire, et qui sont ainsi capables de nous infecter à nouveau. Ces variants portent des mutations qui modifient les régions de leurs protéines cibles de l'immunité, et qui peuvent éventuellement leur conférer d'autres propriétés, de transmissibilité, de pouvoir pathogène ou de résistance. A noter toutefois que la sélection vaccinale de variants d'échappement à l'immunité est pour l'instant un risque théorique qui n'a pas encore été observé à ce jour. La sélection de tels mutants du virus de la grippe, par exemple, est le résultat de la pression de sélection exercée par la maladie naturelle et non par le vaccin.

Le variant B.1.351 apparu en Afrique du Sud pourrait être un de ces variants d'échappement : il porte plusieurs mutations de sa protéine S, qui est une cible principale pour la réponse immunitaire, et plusieurs observations ont mis en évidence sa capacité à infecter des individus malgré une immunité préexistante contre les souches de SARS-CoV-2 qui ont circulé antérieurement. La protéine S de l'une de ces souches étant l'antigène choisi pour tous les vaccins anti-covid 19 disponibles ou en développement, leur efficacité pourrait être insuffisante.

Dans la lutte contre la pandémie de covid 19, alors qu'on attend beaucoup de ces vaccins, la détermination des circonstances qui favorisent l'apparition de variants d'échappement revêt une grande importance. L'étude publiée par S.A. Kemp, D.A. Collier et coll. vient confirmer une hypothèse déjà évoquée. Elle présente le cas d'un individu fortement immunodéprimé, atteint d'une forme grave et prolongée d'infection par le SARS-CoV-2, dont le traitement a comporté l'administration de plasma riche en anticorps prélevé sur des convalescents. Tout au long de l'évolution de la maladie, qui a été fatale après un peu plus de trois mois, 23 prélèvements et séquençages complets ont été effectués pour identifier les génotypes des virus responsables de l'infection. De façon remarquable, l'administration de plasma immun a été suivie de l'apparition chez le patient de virus génétiquement différents, et particulièrement d'une souche dominante portant plusieurs mutations de la protéine S. Avec l'interruption du traitement et l'élimination progressive des anticorps injectés, les variants viraux sont devenus moins nombreux, pour réapparaitre lorsque de nouvelles doses de plasma ont été administrées. En culture, le variant dominant s'est révélé un peu moins sensible aux anticorps de convalescents que le virus d'origine, alors que son pouvoir infectieux était maintenu. En l'absence des anticorps, il perdait toutefois son avantage sélectif sur les souches sauvages, qui redevenaient majoritaires.

L'étude montre qu'en cas de déficit immunitaire , induit par la maladie ou par certains traitements, l'immunité passive transférée avec le plasma de convalescents ne s'adapte pas aux évolutions du virus et peut ainsi favoriser la sélection de virus moins efficacement reconnus par les anticorps, qui ne sont plus éliminés et deviennent ainsi dominants. Ce mécanisme est d'ailleurs facilement observable in vitro, lorsque des virus sont cultivés en présence de petites quantités d'anticorps. Des précautions pourraient peut-être être prises à l'avenir pour limiter ce risque en cas de recours à des traitements par plasma immun chez des malades immunodéprimés, par exemple en utilisant systématiquement des plasmas différents et en isolant strictement les malades. Une réflexion est à mener également pour l'utilisation d'anticorps à spécificité très étroite, comme les monoclonaux qui sont développés par quelques laboratoires.

A priori, le risque d'apparition de variants d'échappement devrait être moindre chez des individus avec une immunité parfaitement fonctionnelle. Il faut alors des modifications importantes et rapides du virus et de tous ses antigènes pour prendre totalement en défaut le système immunitaire. Or, les possibilités ne sont pas infinies, car les protéines virales doivent conserver leurs fonctions. Nos défenses immunitaires ont des cibles et des moyens d'action multiples, et elles s'adaptent, elles aussi grâce à des mutations, pour rester efficaces contre des antigènes modifiés ou nouveaux. Ces adaptations sont d'autant plus rapides et efficaces que l'immunité a déjà été stimulée. L'étude de L. Stamatatos, J. Czartoski et coll. (notre actualité du 15 février) pourrait en être une démonstration. Non seulement l'apparition de variants chez des individus en bon état immunitaire serait ainsi peu probable, mais ces variants seraient en outre "contrôlés" par le système immunitaire et éliminés avant de pouvoir être transmis.

Une course est ainsi engagée à l'échelle individuelle lors de chaque infection, et rares sont les agents infectieux qui parviennent à échapper constamment à nos défenses. Une autre course est engagée au niveau de la population mondiale tout entière, entre l'immunité collective que peut maintenant procurer la vaccination et l'apparition de variants qu'il est peut-être possible de limiter.

Référence

  1. S.A. Kemp, D.A. Collier et coll. SARS-CoV-2 evolution during treatment of chronic infection.

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