Covid 19 : les craintes vis-à-vis du variant Delta sont-elles justifiées ?

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Les variants sont des virus mutés en un ou souvent plusieurs points de leur génome, auxquels ces mutations ont donné un avantage sélectif. Sans cet avantage, le virus muté est généralement condamné à laisser la place à des virus (des souches virales) plus aptes à se multiplier et il finit par disparaitre. Les mutations se produisent au hasard, lors de la réplication du virus dans les cellules, et elles n'aboutissent que rarement à donner au virus des propriétés qui se traduisent par un avantage (voir la nouvelle du 27 décembre 2020). Mais les mutations sont tellement fréquentes chez les virus, et les populations virales si nombreuses, que des virus toujours mieux adaptés à leur environnement et à la pression de sélection qu'il exerce ne cessent d'apparaitre.

L'avantage sélectif donné à un virus peut passer par différents mécanismes, éventuellement combinés : le virus peut devenir plus résistant à des agents physiques ou chimiques, améliorant sa survie à l'extérieur des hôtes qu'il infecte, il peut trouver de nouveaux moyens de se transmettre, augmenter l'efficacité avec laquelle il atteint puis infecte les cellules dans lesquelles il se multiplie, trouver à infecter d'autres cellules chez le même hôte ou d'autres hôtes qu'il n'infectait pas à l'origine (franchissement de la "barrière d'espèce", qui crée un "réservoir de virus" plus étendu), échapper aux moyens de défense développés par ces hôtes, particulièrement l'immunité innée et l'immunité adaptative (les anticorps et les cellules cytotoxiques spécifiques), être éliminé en plus grandes quantités et sur de plus longues périodes par les individus infectés, de façon à infecter plus de nouveaux individus. Lorsque des traitements antiviraux existent, les mutations permettent aux virus de devenir résistants dans des délais souvent très courts, obligeant à développer sans cesse de nouvelles molécules et à les combiner. Ces modifications des propriétés des virus reposent sur des mécanismes moléculaires variés et souvent complexes, dans lesquels les protéines virales mutées interagissent avec des composés extracellulaires (récepteurs cellulaires, anticorps, mais aussi molécules présentes par exemple dans les gouttelettes de salive qui assurent la transmission de certains virus) ou intracellulaires, lors de la réplication.

Au final, le succès d'un variant peut se confondre avec son efficacité de transmission d'hôte infecté à hôte sain, nécessaire à l'expansion de la population virale au détriment de souches moins performantes. Mais cette efficacité que l'on mesure est la résultante d'aptitudes améliorées dans différents domaines, qu'il n'est pas facile d'identifier ; l'affinité des protéines virales de surface pour le récepteur qui permet l'entrée dans les cellules est l'une de ces aptitudes.

Le pouvoir pathogène d'un virus (les dégâts qu'il peut occasionner durant l'infection) fait également intervenir des interactions complexes entre constituants viraux et constituants de l'hôte (cellules et molécules). On conçoit dès lors que des mutations du virus peuvent se traduire par une exacerbation ou une atténuation du pouvoir pathogène. Mais le pouvoir pathogène n'est pas en soi un caractère directement soumis à la pression de sélection, il est difficile de savoir comment il intervient in fine sur l'efficacité de transmission et s'il constitue ou non un avantage pour le virus. Il existe ainsi des virus responsables d'infections d'évolution très différente, brève ou longue, bénigne ou très invalidante, inapparente ou mortelle. On considère parfois, sur quelques exemples, que l'adaptation d'un virus à son hôte, dans la durée, se traduit par une diminution du pouvoir pathogène, aboutissant en quelque sorte à un état d'équilibre "gagnant-gagnant". Les contre-exemples existent.

Ainsi, certaines prédictions restent à ce jour impossibles :

  • A de rares exceptions près, on ne sait pas prédire les propriétés ou comportements qui découlent des mutations.
  • S'il est sûr que de nombreux facteurs, et particulièrement l'immunité acquise par infection ou vaccination ou l'utilisation d'antiviraux, effectuent une sélection de variants adaptés, nous ignorons si le pouvoir pathogène de ces variants s'en trouvera ou non modifié, et dans quel sens il le sera. Aptitude à la survie d'un virus ("fitness") et "pouvoir de nuisance" sont des propriétés indépendantes.

Le séquençage de l'ARN (le génome) des souches de SARS-CoV-2 isolées chez les personnes infectées permet d'identifier les mutations et l'apparition de variants, de façon relativement simple et à haut débit. Il est devenu un outil indispensable dans la surveillance d'une épidémie qui se prolonge, en particulier avec l'arrivée de vaccins sur lesquels reposent nos espoirs. En effet, l'immunité que nous développons contre le virus, que ce soit lors d'une infection ou par la vaccination, exerce une pression de sélection susceptible de faire émerger des souches dites d'échappement, contre lesquelles la réponse immunitaire initiale sera peu ou pas efficace. Il est donc important de détecter les variants, car il s'agit a priori de virus qui se sont adaptés aux conditions qu'ils ont rencontrées, et peut-être en mesure de contourner nos défenses.

Cependant, le séquençage ne nous dit pas de quoi sont capables les virus mutés. Pour le savoir, il faut s'en remettre à des observations épidémiologiques et cliniques et à des expérimentations longues et complexes. Ces études sont menées sur les variants dits d'intérêt ou préoccupants, présentant un caractère inquiétant : formation de clusters, diffusion rapide, à plus forte raison si elle se fait en dépit des mesures de protection ou d'une immunité antérieure, dans une population jusque là épargnée, formes cliniques nouvelles, plus bénignes (avec risque de portage silencieux du virus et de transmission) ou plus sévères.

Alors qu'on nous abreuve de données inquiétantes sur la progression des variants, ceux qui viennent remplacer des souches plus anciennes ne doivent nous préoccuper que s'ils ont acquis des propriétés qui rendent l'infection plus redoutable. L'incidence absolue des cas doit être prise en considération : qu'un variant soit responsable d'une proportion de plus en plus grande d'infections n'est pas en soi une mauvaise nouvelle, si par ailleurs le nombre total des infections diminue, si leur gravité n'augmente pas et si les mesures de protection, lorsqu'elles sont appliquées, restent efficaces.

Qu'en est-il du variant Delta (B.1.617.2) du SARS-CoV-2 ? Détecté fin 2020 en Inde, où il s'est très rapidement répandu, il a été trouvé porteur d'une quinzaine de mutations dont certaines déjà présentes sur d'autres variants préoccupants (Alpha ou B.1.1.7 ou anglais, Beta ou B.1.351 ou sud-africain, Gamma ou P.1 ou brésilien). On a pu associer certaines de ces mutations, dont L452R, à une plus grande efficacité de transmission du virus et à une modification des motifs (épitopes) reconnus par les anticorps sur la protéine S du virus, qui pourrait lui permettre d'échapper à l'immunité constituée contre le SARS-CoV-2 original. La mutation E484Q, également responsable d'échappement immunitaire, n'est pas présente dans le variant Delta, mais elle l'est dans deux sous-lignages (B.1.617.1 ou Kappa et B.1.617.3) dont la diffusion reste limitée. A présent très répandu au Royaume-Uni et détecté en France métropolitaine depuis février 2021, le variant Delta suscite légitimement les interrogations, sinon l'inquiétude, et une surveillance attentive. Au contraire du variant Alpha, devenu plus transmissible mais toujours reconnu par la réponse immunitaire développée contre le SARS-CoV-2 original ou par la vaccination, le variant Delta pourrait échapper à la composante humorale de cette immunité (les anticorps) ; la réponse cellulaire permettrait par contre de conserver une protection, au moins partielle (1).

Des réponses à ces interrogations nous viennent d'Inde et du Royaume-Uni. En Inde, le consortium de laboratoires chargés de la détection et de la surveillance des variants (INSACOG) a récemment indiqué que par rapport aux autres souches de SARS-CoV-2, le variant Delta :

  • se transmet plus efficacement,
  • se lie avec plus d'affinité au récepteur des cellules pulmonaires,
  • échappe à la neutralisation par certains anticorps monoclonaux.

Lorsqu'elle est symptomatique, l'infection s'accompagne des symptômes habituels de la covid 19. Elle est la plupart du temps bénigne chez les sujets jeunes qui sont souvent infectés. Toutefois, des observations rapportent que la perte de l'odorat et du goût parait très inconstante, les signes les plus fréquents étant les céphalées, les maux de gorge et un écoulement nasal. La confusion avec un rhume banal est possible. Le variant avancerait ainsi masqué, se transmettant rapidement sans attirer l'attention. A l'inverse, certaines informations font état de symptômes sévères alarmants, tels que vomissements, perte de l'audition, douleurs articulaires (2). Des médecins rapportent la formation fréquente de caillots sanguins pouvant être responsables de gangrènes. Ces observations restent à confirmer.

Au Royaume-Uni, où le variant Delta a à ce jour été retrouvé chez plus de 50 000 personnes infectées, sa transmissibilité a été évaluée 60% supérieure à celle du variant Alpha qu'il a rapidement remplacé. Il est responsable d'une reprise de l'épidémie qui a conduit les autorités à repousser la date de levée des mesures de prévention : le nombre de contaminations quotidiennes est passé de 2 000 à 7 000 lors des dernières semaines, il double tous les 11 jours. Les jeunes sont beaucoup plus souvent infectés qu'ils ne l'étaient par le variant Alpha. Les observations faites en Angleterre et en Ecosse indiquent que les personnes infectées par le variant Delta risquent deux fois plus d'être hospitalisées que celles qui le sont par Alpha. Ces hospitalisations concernent surtout des personnes présentant des comorbidités (3).

Les données sur l'efficacité vaccinale sont par contre plutôt rassurantes. Les vaccins étudiés (AstraZeneca et Pfizer) protègent moins contre le variant Delta que contre le variant Alpha après une première dose, mais l'efficacité contre les formes symptomatiques d'infection remonte à un bon niveau après la deuxième, avec un avantage pour le vaccin à ARN de Pfizer (4, 5).

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Efficacité Pfizer

1ère dose

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Efficacité Pfizer

2ème dose

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Efficacité AZ

1ère dose

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Efficacité AZ

2ème dose

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Variant Alpha

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50 %

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93 %

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50 %

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66 %

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Variant Delta

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33 %

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88 %

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33 %

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60 %

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Une observation identique est faite aux USA où Anthony Fauci appelle la population à effectuer rapidement la deuxième injection. On ne dispose pas encore de données sur l'efficacité comparée du vaccin Spikevax de Moderna, ni sur celui de Janssen, proposé en dose unique.

En France, le variant Delta est à présent responsable de 9 à 10 % des nouvelles contaminations, et de 70 % des cas de covid 19 dans les Landes où plusieurs clusters ont été détectés. Il progresse dans plusieurs régions, dont l'Ile-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France. Mais il s'agit de données relatives et, pour l'instant, les indicateurs de suivi de l'épidémie (nouvelles contaminations, hospitalisations) continuent d'évoluer favorablement.

La transmissibilité augmentée du variant Delta va lui permettre d'infecter plus efficacement toutes les personnes qui ne seront pas protégées par les mesures barrières ou une bonne immunité (infection antérieure ou vaccination complète). Même s'il ne provoque pas des formes de covid 19 systématiquement plus graves, un haut niveau de transmission pourrait à nouveau conduire à une saturation des capacités de prise en charge et imposer un nouveau renforcement des mesures barrières. La circulation très active du virus rend en outre toujours possible l'apparition d'autres variants aux "performances" accrues, partout dans le monde. Le 22 juin, l'Inde a déclaré avoir détecté un mutant du variant Delta encore plus contagieux, baptisé "Delta plus". Personne ne souhaite voir ces scénarios se répéter. Il faut donc étendre au plus vite et largement la couverture vaccinale et respecter aussi longtemps que nécessaire les mesures limitant l'exposition des personnes non protégées. La deuxième dose de vaccin étant nécessaire pour une protection optimale, des pays ont déjà choisi de raccourcir le délai entre les deux injections, après que ce délai ait souvent été allongé pour une meilleure efficacité ou pour permettre de vacciner plus largement.

Si les variants qui se répandent et deviennent majoritaires sont à l'évidence plus "doués" que leurs ancêtres, ils ne sont pas forcément des ennemis plus redoutables. Tous ne seront pas responsables de nouvelles vagues, sauf peut-être parmi les personnes non infectées précédemment et non protégées, qui doivent faire l'objet d'attention. A ce jour, le variant Delta ne semble pas en lui-même constituer un risque non maitrisable, et l'évolution globale favorable des cas de covid 19 en France pourrait en être le témoin. Mais il est le signe que nous sommes engagés dans une course où le virus peut à tout moment prendre l'avantage. La vigilance et la prudence sont de mise, et notre Premier ministre, en visite dans les Landes, vient d'annoncer qu'il comptait "mettre le paquet" sur les mesures de lutte.

Références

  1. SARS-CoV-2 variants: Subversion of antibody response and predicted impact on T cell recognition.
  2. Delta Variant and COVID-19 Vaccines: What to Know.
  3. [SARS-CoV-2 Delta VOC in Scotland: demographics, risk of hospital admission, and vaccine effectiveness.](https://doi.org/10.1016/ S0140-6736(21)01358-1)
  4. Vaccines highly effective against B.1.617.2 variant after 2 doses.
  5. Delta coronavirus variant: scientists brace for impact.

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