Vaccination anti-covid 19 chez les immunodéprimés : une protection incomplète et variable, mais un bénéfice qui ne doit pas être négligé

Publié le 14 fév. 2022 à 18h13

Biographie

MD, PhD, ancien directeur scientifique de l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), Brétigny sur Orge, France.

Habilitation à diriger les recherches.

Enseignant à l’Ecole du Val-de-Grâce, à l’université d’Aix-Marseille, à l’Institut de formation en soins infirmiers Saint Joseph, Marseille.

Expert auprès de Santé publique France, de la Haute autorité de santé (HAS) et du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC).

Membre du Comité de protection des personnes (CPP) Sud-Ouest et Outre-mer II.

Liens d'intérêt

Absence de lien avec l’industrie pharmaceutique.

Aucune participation à des études cliniques de médicaments ou vaccins.

Déclaration établie le 2 janvier 2012, mise à jour le 21 septembre 2021.

Les vaccins sont conçus pour stimuler l’immunité en prévention d’une infection. Ils sont censés provoquer différentes réponses (production d’anticorps, activation de plusieurs populations de lymphocytes spécifiques dont certains garderont la mémoire des antigènes) qui seront capables, en cas de contamination, soit d’empêcher l’infection, soit de produire une réponse immune plus rapide et efficace qu’en cas de tout premier contact, atténuant les effets de l’infection et accélérant son élimination. Toutefois, ces effets ne trouvent leur pleine efficacité que chez les personnes dont toutes les composantes du système immunitaire sont parfaitement fonctionnelles. Des déficiences de l’immunité se rencontrent chez de plus en plus de personnes, car elles ont des origines multiples (voir à ce sujet notre actualité du 3 mai 2021). Elles peuvent être constituées par des altérations de l’une ou l’autre, ou des deux composantes de l’immunité, humorale et cellulaire, aboutissant à des déficits plus ou moins profonds qui exposent les personnes atteintes aux infections et à des formes graves de ces infections.

La prévention des infections revêt donc une particulière importance chez les immunodéprimés. Elle passe par la vaccination lorsque celle-ci est possible, car le déficit immunitaire peut être une contrindication à certains vaccins (les vaccins vivants, susceptibles de provoquer une maladie si l’infection normalement bénigne qu’ils provoquent n’est pas contrôlée). Un autre risque est que la vaccination se révèle peu ou pas efficace, en raison de l’incapacité de la réponse immunitaire à se constituer ou à se maintenir.

L’immunodépression, quelle qu’en soit la cause, est un des facteurs de risque de covid 19 grave. En l’état actuel de l’épidémie en France, les médecins hospitaliers constatent que les immunodéprimés constituent la deuxième catégorie de malades la plus représentée en réanimation, après celle des non vaccinés. La vaccination est ainsi l’une des mesures qui leur est fortement recommandée, puisque les vaccins disponibles, qu’ils soient à ARN ou à vecteur viral non réplicatif, ne sont pas contre-indiqués. L’efficacité de cette vaccination dépend toutefois de l’origine et de la sévérité de l’immunodépression, elle reste incertaine. Des chercheurs américains l’ont évaluée en comparant les cas de 20 101 adultes présumés immunodéprimés (en raison d’une greffe ou d’un diagnostic d’affection corrélée à une immunodépression : maladie inflammatoire ou du système immunitaire, cancer) et de 69 116 adultes immunocompétents, suivis entre janvier et septembre 2021 (1). Dans les deux groupes, 10 564 et 29 456 personnes, respectivement, avaient reçu deux doses de vaccin. L’analyse montre que l’efficacité vaccinale (protection contre les formes de covid 19 nécessitant une hospitalisation évaluée 2 semaines après vaccination) est constamment moins élevée chez les immunodéprimés : elle est de 77 %, contre 90 % chez les immunocompétents. Elle est en outre variable, comme attendu, en fonction du type d’immunodéficience : elle est de 81% en cas de maladie inflammatoire, mais seulement de 59% chez les porteurs de greffes. Ces différences sont maintenues quel que soit le vaccin à ARN utilisé, dans tous les groupes d’âge observés, et alors que la variant Delta a commencé à se répandre durant la période étudiée.

L’une des limitations de l’étude est qu’elle caractérise mal les formes d’immunodéficience impliquées et l’effet possible d’autres facteurs confondants. Des personnes ont pu être considérées immunodéficientes alors qu’elles ne l’étaient pas, ou vice-versa (cette deuxième possibilité étant peu probable). L’étude indique néanmoins que deux doses de vaccin ne protègent qu’insuffisamment les personnes immunodéprimées. Les recherches devront se poursuivre pour préciser les conséquences propres aux différents types de déficits immunitaires. En particulier, le cas de l’immunodéficience qui peut accompagner l’infection par le VIH n’a pas été étudié. Cependant, s’appuyant notamment sur une étude menée sur plus de 15 000 personnes porteuses du VIH dans 24 pays, l’OMS concluait en juillet 2021 que ces personnes devaient être prioritaires pour la vaccination (2). En France, une étude dont les résultats initiaux viennent d'être communiqués par l'ANRS confirme le bénéfice que les personnes infectées par le VIH (PVVIH)  peuvent retirer de la vaccination, dans la mesure où le traitement de l'infection est efficace et permet le maintien du niveau de lymphocytes (3). L'étude n'est toutefois pas terminée.

Une autre limitation de l’étude de Embi et coll. est qu’elle n’a pas inclus de personnes vaccinées avec un vaccin à vecteur viral (en pratique, seul celui de Janssen est utilisé aux Etats-Unis). Ces vaccins ne sont pas contre-indiqués en cas d’immunodéficience, mais ils ont paru faciliter l’infection par le VIH lors d’essais de vaccins anti-VIH qui ont utilisé un vecteur adénovirus humain de type 5, Ad5 (4) (pour rappel, le vaccin covid 19 de Janssen utilise un adénovirus humain de type 26, alors que le vaccin d’AstraZeneca utilise un adénovirus du singe). L’explication de cette observation reste incertaine, et un nouvel essai d’un candidat vaccin anti-VIH utilisant également un vecteur Ad5 n’a pas reproduit ce résultat. L’OMS recommande qu’une attention soit portée à ce phénomène dans la surveillance des vaccins anti-covid qui utilisent des vecteurs adénoviraux.

La covid 19 évolue souvent de façon très défavorable en cas de déficit immunitaire. Au contraire, la vaccination présente peu de risques identifiés, et ses bénéfices potentiels l’emportent largement. Elle est donc encouragée. En raison de l’insuffisance prévisible de la réponse, l’administration d’une 3e puis d’une 4e dose de vaccin est à ce jour recommandée, en complément de la mise en œuvre de toutes les mesures de protection et de prévention disponibles : mesures barrières, cocooning, et en cas d’infection, utilisation précoce des médicaments actifs qui deviennent disponibles (dont antiviraux et anticorps synthétiques ou monoclonaux).

Références

  1. P.J. Embi, M.E. Levy et coll. Effectiveness of 2-Dose Vaccination with mRNA COVID-19 Vaccines Against COVID-19-Associated Hospitalizations Among Immunocompromised Adults - Nine States, January-September 2021.
  2. OMS, réponse aux questions, 14 juillet 2021. Coronavirus disease (COVID-19): COVID-19 vaccines and people living with HIV.
  3. ANRS COV-POPART : premiers résultats de comparaison de la réponse vaccinale Covid-19 des personnes vivant avec le VIH et recrutement en cours pour le volet pédiatrique - https://www.anrs.fr/fr/presse/communiques-de-presse/1002/anrs-cov-popart-premiers-resultats-de-comparaison-de-la-reponse
  4. S.P. Buchbinder, McElrath et coll. Use of adenovirus type-5 vectored vaccines: a cautionary tale.