Vaccin anti-papillomavirus : entre efficacité et controverse

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Les papillomavirus sont des virus nombreux, largement répandus chez les animaux. Chez l'homme, on connait près de 200 HPV (human papillomavirus) qui se divisent en deux groupes : ceux qui infectent la peau, provoquant des verrues, et ceux qui infectent les muqueuses génitales et digestives. Ces derniers sont transmis principalement lors des rapports sexuels, ils peuvent provoquer des infections inapparentes ou des condylomes acuminés (verrues génitales ou « crêtes de coq »). Certains types sont surtout responsables de l'apparition de cancers, particulièrement celui du col de l'utérus chez la femme.

La découverte de ce rôle a conduit à l'élaboration de vaccins censés prévenir l'apparition d'un des cancers les plus fréquents, au pronostic redoutable lorsqu'il n'est pas dépisté (plus de 3.000 nouveaux cas chaque année en France, s'ajoutant aux 40.000 cas de lésions précancéreuses du col de l'utérus). Deux vaccins sont aujourd'hui disponibles dans le monde entier. Le Cervarix® (produit par GSK), bivalent, contient des antigènes (protéine L1) des 2 types de virus les plus souvent retrouvés dans les lésions cancéreuses (types 16 et 18). Le Gardasil® (Sanofi Pasteur MSD), quadrivalent, y rajoute les antigènes des virus de type 6 et 11, responsables de condylomes génitaux (ou verrues génitales). Pour être efficaces, les deux vaccins doivent être administrés avant toute infection par l'un des papillomavirus correspondants, et donc avant les premiers rapports sexuels. Ils sont ainsi recommandés par beaucoup de pays chez les jeunes filles, entre 11 et 14 ans dans le nouveau calendrier vaccinal français, avec rattrapage jusqu'à 19 ans.

On manque encore de recul pour évaluer correctement l'efficacité de ces vaccins sur la survenue des cancers, qui se constituent des années après l'infection initiale. Cependant, une étude américaine vient de produire des résultats très favorables à la vaccination (Markowitz et coll.). Les auteurs ont recherché les papillomavirus 6, 11, 16 et 18 dans les frottis vaginaux de femmes de 14 à 59 ans prélevées entre 2003 et 2006 (avant l'introduction du vaccin quadrivalent) ou entre 2007 et 2010, alors que le vaccin était recommandé à l'âge de 11 ou 12 ans. Ils ont observé que chez les femmes de 14 à 19 ans, la prévalence des virus avait chuté de 56 % depuis l'introduction du vaccin, passant de 11,5 % à 5,1 %. Pour les femmes de plus de 19 ans, aucune différence significative n'a été constatée. Ce résultat démontre une bonne efficacité du vaccin, supérieure même à celle attendue, puisque 30 % seulement des jeunes filles concernées par la recommandation ont été totalement vaccinées (3 injections). Les auteurs donnent trois explications possibles à cette efficacité : l'effet d'une immunité collective qui diminue la circulation des virus, une protection conférée par un schéma de vaccination incomplet (1 ou 2 doses), un changement non détecté dans les comportements sexuels.

Les commentaires du directeur des CDC (Centers for Disease Control and prevention) sur cette étude sont sans équivoque. Alors que le vaccin démontre son efficacité mais que chaque année, 14 millions d'Américains sont infectés par un HPV et que 19.000 nouveaux cancers génitaux féminins sont détectés, il déplore que la couverture vaccinale reste peu élevée (50 % des jeunes filles ont reçu une injection, et 30 % seulement ont reçu les trois recommandées), très inférieure à celle du Rwanda (80 %). Selon lui, 4.400 cancers féminins pourraient être évités chaque année aux USA. Et de rappeler que plusieurs cancers masculins (scrotum, pénis, anus, oropharynx) sont également provoqués par les HPV, justifiant une recommandation chez les jeunes garçons.

Dans une autre étude publiée en avril 2013, des auteurs australiens ont montré que l'introduction du vaccin anti-HPV quadrivalent en 2007 a été suivie d'une baisse significative de l'incidence des condylomes acuminés chez les jeunes femmes vaccinées, mais aussi chez les hommes hétérosexuels non vaccinés, par un effet d'immunité collective (Ali H et coll.).

Au Japon, les cancers du col de l'utérus sont également nombreux : 9.000 nouveaux cas seraient dépistés chaque année. Pourtant, le pays vient de suspendre la recommandation de la vaccination anti-HPV pour les jeunes filles, tout en maintenant la gratuité des deux vaccins commercialisés pour les volontaires. Les explications données à cette décision sont vagues. Elle aurait été prise sous la pression d'associations de parents estimant leurs enfants victimes d'effets indésirables parfois sérieux imputables aux vaccins et de la publicité jugée agressive de leurs fabricants. La présence d'aluminium dans les deux préparations et la contestation de l'intérêt de la vaccination au sein de la communauté médicale et scientifique (également présente dans de nombreux autres pays, dont le nôtre) sont aussi évoquées. Dans ce contexte, la décision des autorités, présentée comme provisoire, leur permettrait de compléter les études épidémiologiques visant à déterminer la responsabilité du vaccin dans des manifestations douloureuses (céphalées, douleurs abdominales), des « paralysies », parfois des syncopes, observées chez un petit nombre de jeunes filles vaccinées. Dans l'attente des résultats de ces études, les vaccins sont toujours considérés comme sûrs, mais les parents des enfants à vacciner sont invités à prendre eux-mêmes la décision.

En France, les effets indésirables des vaccins anti-HPV constatés sont dans leur majorité des effets locaux (inflammation et douleur passagères au site d'injection), puis des nausées, des céphalées et autres phénomènes douloureux passagers. La responsabilité des vaccins dans certaines manifestations graves (maladies auto-immunes, épilepsie) ou dans des décès observés dans quelques pays étrangers (Allemagne, Autriche, Angleterre) n'est pas établie. Les vaccins sont à ce jour considérés comme sûrs, mais dans son avis du 1er février 2012, la commission de la transparence de la Haute autorité de santé (HAS) considère qu'ils « apportent une amélioration du service médical rendu modérée ». Ce ne sont pas leur efficacité et leur sécurité qui sont en cause, mais de possibles effets « collatéraux » : diminution de l'utilisation du préservatif (la vaccination pouvant être perçue comme protégeant de toutes les infections sexuellement transmissibles), décalage du cancer du col de l'utérus vers un âge plus avancé si l'immunité conférée venait à s'atténuer à distance de la vaccination, sélection possible de nouveaux virus, et surtout diminution du recours au dépistage des lésions précancéreuses lors de l'examen gynécologique. Sept ans après l'instauration de la vaccination, la couverture vaccinale chez les jeunes filles de 15 à 17 ans ne dépasse pas 30 %, et elle est à la baisse.

En l'état actuel des données, il nous semble que la vaccination contre les HPV responsables de cancers génitaux présente les mêmes garanties de sécurité que d'autres vaccins largement utilisés, et qu'elle doit être présentée et comprise comme l'un des éléments dans la prévention de ces cancers, leur dépistage devant rester systématique.

Sources :

Addendum :

Alors que nous nous préparions à publier cette nouvelle, nous avons pris connaissance d'une nouvelle controverse lancée par un médecin et une journaliste suisses à l'encontre des avis publiés par la revue Prescrire sur l'intérêt des vaccins antipapillomavirus. Pour résumer, la revue française, qui fait appel à des experts indépendants et dont le travail est salué par un ancien directeur général de la santé sur le blog du journal Le Monde, conclut que, bien que les données d'efficacité ne concernent à ce jour, faute de recul, que des lésions pré-cancéreuses provoquées par les papillomavirus, la vaccination pour les jeunes femmes n'ayant pas encore eu de relations sexuelles « est une option raisonnable ». Dans cette population de femmes non infectées avant leur vaccination, on observe 2 ans après celle-ci une diminution de 38 % des dysplasies de haut grade provoquées par un papillomavirus quel qu'en soit le génotype, et la quasi-disparition des dysplasies de haut grade dues aux génotypes 16 et 18, les deux principaux responsables de cancer du col de l'utérus. De premières études montrent que la protection conférée persiste au bout d'un an et demi, et que les risques liés aux vaccins ne paraissent pas supérieurs à ceux observés avec d'autres vaccins (voir également à ce sujet notre nouvelle du 2 juillet). La revue convient que le dossier d'évaluation comporte encore des faiblesses : la protection à plus long terme contre les dysplasies doit être évaluée, cette protection contre des lésions qui ne sont pas des cancers n'est qu'un critère intermédiaire d'efficacité, les données de pharmacovigilance doivent être complétées. Quant à la protection contre la survenue de cancers ou contre la mortalité due à ces cancers, elle ne sera connue que dans plusieurs années puisque ces lésions sont très longues à se constituer.

Sans écarter les critiques des deux auteurs suisses, qui font une analyse différente des données disponibles, les experts de Prescrire estiment qu'une diminution des cancers du col de l'utérus peut être raisonnablement attendue chez les jeunes femmes vaccinées, et que ce bénéfice possible n'est pas annulé par un risque intolérable d'effets indésirables. C'est donc un « pari » qui est proposé aux jeunes femmes, qui doivent recevoir toute l'information nécessaire à leur prise de décision.

Quoiqu'un peu différente, en l'état de connaissances qui ne peuvent que progresser, notre conclusion va dans le même sens.

Plus récemment encore, de nouvelles données (Lawton MD) sont en faveur de la vaccination des jeunes gays, les jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes ayant 15 fois plus de risques de développer un cancer anal que les hommes hétérosexuels. Le groupe interassociatif de lutte contre le sida TRT-5 a d'ailleurs demandé à ce que les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes puissent bénéficier de la vaccination contre les papillomavirus.

L'efficacité de la vaccination anti-HPV contre les cancers de la gorge a également été confirmée dans un article publié le 17 juillet 2013 dans la revue PLOS ONE. Les HPV 16 et 18, contenus dans les vaccins disponibles, sont à l'origine de 90 % des cancers de la gorge liés au HPV et de 70 % de l'ensemble de ces cancers.

Sources :