Début d'une épidémie de rougeole en France : le point sur les recommandations vaccinales

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La direction générale de la santé a récemment publié un document précisant la conduite à tenir autour d'un cas de rougeole [1]. Dans le contexte de début d'une épidémie dont l'ampleur pourrait être importante, nous faisons ici un point sur la rougeole, son épidémiologie et les mesures actualisées permettant de lutter contre cette maladie.

1. Quelques rappels sur la rougeole

La rougeole est une infection virale très contagieuse et potentiellement grave pour laquelle il n'existe pas de traitement curatif. C'est une maladie qui ne concerne pas seulement les jeunes enfants mais également les adolescents et les adultes. La rougeole est due à un virus respiratoire qui se transmet par la projection de gouttelettes salivaires ou d'aérosols respiratoires, en particulier lors de la toux et des éternuements. La contagiosité des cas de rougeole débute environ quatre jours avant l'éruption et dure jusqu'à quatre jours environ après le début de l'éruption.

La rougeole est une maladie très contagieuse. Les épidémiologistes évaluent la contagiosité d'une maladie infectieuse avec le taux de reproduction de base, désigné par le symbole R0. Ce taux correspond au nombre de personnes qui seront infectées lors de l'introduction d'un cas dans une population entièrement susceptible, c'est-à-dire sans protection immunitaire. Le R0 de la rougeole est de 15 à 20, il n'est que de 1,5 pour la grippe ! La connaissance du R0 permet de calculer le seuil d'immunité de groupe permettant l'arrêt de la circulation du virus. Celui ci est d'environ 90 à 95 %. Atteindre ce seuilpermettraitd'évitertouteépidémie et à terme l'élimination de la rougeole.Compte tenu de l'efficacité du vaccin, ceci nécessite que la couverture vaccinale à deux doses contre cette maladie soit au moins égale à 95 %[2].

2. Situation de la rougeole en France à la date du 15 mars 2018

Selon la direction générale de la santé et Santé publique France, au 12 mars 2018, 913 cas ont été déclarés depuis le 6 novembre 2017, confirmant le début d'une épidémie en France [3]. L'augmentation rapide du nombre de cas observée depuis les trois dernières semaines (environ 300 cas) fait craindre une épidémie d'ampleur importante sur l'ensemble du territoire.

Cette situation est la conséquence d'une couverture vaccinale insuffisante chez les nourrissons (79 % avec deux doses de vaccin au lieu des 95 % nécessaires), les enfants et les jeunes adultes. La très nette augmentation du nombre de cas depuis novembre 2017 en Nouvelle-Aquitaine se prolonge en 2018, avec la survenue de foyers épidémiques dans 59 départements (Figure 1). La moitié des cas sont déclarés dans la région Nouvelle-Aquitaine.

Figure 1 : Nombre de cas de rougeole déclarés, par département de résidence, du 6 novembre 2017 au 12 mars 2018 (n= 913) - Source : Santé publique France.

Le taux d'incidence (nombre de nouveaux cas rapportés à la population) le plus élevé est observé chez les nourrissons âgés de moins d'un an (Figure 2). Ceci n'est pas étonnant : la vaccination étant recommandée à partir de l'âge de 12 mois, les nourrissons plus jeunes ne sont pas encore protégés. C'est une source de préoccupation, car les nourrissons sont plus à risque de développer une forme grave de la maladie.

Figure 2 : Incidence des cas de rougeole déclarés par groupe d'âge du 6/11/2017 au 12/3/2018 (n= 913) - Source : Santé publique France.

En février, une jeune femme de 32 ans non vaccinée est décédée de la rougeole à Poitiers. Quatre vingt sept pour centdescas de rougeolesont survenuschez les personnes non ou insuffisamment vaccinées nées après 1980,ce quireflète l'insuffisance de la couverture vaccinale contre la rougeole en France. Dans ce contexte, la direction générale de la santé rappelle qu'il est important de vérifier systématiquement le statut vaccinal contre la rougeole de toute personne née depuis 1980 et particulièrement les enfants de 1 à 4 ans, les adolescents, les jeunes parents et les femmes en âge d'avoir des enfants.

Depuis 2008, où une épidémie importante est survenue en métropole, la rougeole a été la cause d'au moins 21 décès, dont 9 ayant échappé à la déclaration obligatoire ont été identifiés lors de l'analyse des certificats de décès parvenus au Centre d'épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDC). Ce nombre peut paraître faible. Mais il serait certainement beaucoup plus élevé si la couverture vaccinale était plus basse, ce qui entrainerait une augmentation du nombre de personnes réceptives à la rougeole (actuellement estimé à 1,5 millions). A l'opposé de sa réputation de bénignité qui lui est souvent associée, la rougeole entraine de nombreuses complications qui peuvent handicaper de manière plus ou moins importante ses victimes. Reprenons les chiffres de la dernière épidémie. Du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2016, soit en 9 ans, plus de 24.000 cas de rougeole ont été déclarés en France (dont près de 15.000 cas pour la seule année 2011). Plus de 1.500 cas ont présenté une pneumopathie grave, 34 une complication neurologique (31 encéphalites, 1 myélite, 2 Guillain-Barré). Si le nombre de décès déclaré représente au plus la moitié des décès réellement causés par la rougeole, que penser de la sous-déclaration des complications, probablement beaucoup plus élevée ?

Parmi les cas de rougeole survenus en 2017, 208 ont été hospitalisés (41 %), principalement chez les moins de cinq ans et les plus de 20 ans. Parmi ces cas hospitalisés, 53 (27 %) présentaient des complications : 4 encéphalites chez de jeunes adultes, 38 cas de pneumopathies graves dont 12 cas chez des enfants de moins de 5 ans et 14 chez des sujets de plus de 30 ans [4]. Six cas de pneumopathie ont dû être hospitalisés en réanimation, dont l'un, âgé de 16 ans, est décédé.

Pour rappel, les pneumonies (virales ou bactériennes) surviennent chez 1 à 6 % des cas et les encéphalites aiguës pour 1 cas sur 1.000 environ, celles-ci pouvant évoluer vers un décès ou des séquelles neurologiques. La panencéphalite subaigüe sclérosante (PESS), une complication tardive de la rougeole évoluant vers le décès, semble plus fréquente qu'on ne le pensait. Cette affection dégénérative du système nerveux central, liée à la persistance d'un virus morbilleux défectif, complique un cas sur 10.000 à un cas sur 100.000 de rougeole avec une incidence qui varie de 18 cas pour 100.000 si la rougeole est survenue avant un an à 1,1 cas sur 100.000 en cas de survenue de la rougeole après 5 ans. Une analyse récente des cas de PESS en Californie a estimé son incidence chez les enfants infectés par le virus de la rougeole avant 5 ans à 1/1.367 et à 1/609 chez les nourrissons infectés avant l'âge de 12 mois [5].

3. Les recommandations vaccinales qui s'appliquent en dehors d'un contact avec un cas de rougeole ou d'une situation épidémique

Il existe deux vaccins contre la rougeole actuellement disponibles en France : M-M-RVAXPRO et PRIORIX. Ce sont des vaccins trivalents, désignés habituellement sous le nom de "vaccins ROR", car ils combinent à la valence "rougeole" (R) les valences "oreillons" (O) et "rubéole" (R).

3.1. Le calendrier vaccinal du nourrisson.

La vaccination contre la rougeole est obligatoire pour les nourrissons nés depuis le 1er janvier 2018 selon ce calendrier. Deux doses d'un vaccin trivalent contre la rougeole, les oreillons et la rubéole doivent être administrées. La première dose de vaccin ROR est administrée à 12 mois quel que soit le mode de garde (avant 2013, il était recommandé d'administrer le vaccin dès l'âge de 9 mois en cas d'admission en collectivité). La seconde dose est administrée entre 16 et 18 mois. Cependant, cette seconde dose ne constitue pas un rappel, l'immunité acquise après une première vaccination étant de longue durée, mais constitue un rattrapage pour les enfants n'ayant pas séroconverti, pour un ou plusieurs des antigènes, lors de la première vaccination. Des études montrent que la première dose administrée à l'âge de 12 mois entraine une réponse immunitaire dans 92,5 % des cas (en d'autres termes, cela signifie que 7 à 8 % des nourrissons vaccinés à cet âge ne répondent pas à la première dose de vaccin contre la rougeole) ; cependant, environ 95 % d'entre eux se dotent d'une immunité protectrice après la seconde dose [1]. Ainsi, le schéma vaccinal à deux doses confère une immunité protectrice contre la rougeole dans 99,6 % des cas.

3.2. Le rattrapage.

Un rattrapage vaccinal est recommandé pour les personnes nées depuis 1980. Celles-ci devraient avoir reçu au total deux doses d'un vaccin trivalent , en respectant un délai minimal d'un mois entre les deux doses, quels que soient les antécédents vis-à-vis des trois maladies. Les personnes qui ont développé l'une des trois maladies contre lesquelles protège le vaccin ne sont habituellement pas protégées contre les deux autres, et administrer un vaccin vivant atténué à une personne déjà immunisée ne présente aucun inconvénient du fait de l'inactivation du virus vaccinal par les anticorps préexistants. Dans une optique de santé publique, étendre l'âge du rattrapage de la vaccination rougeoleuse dans la population née avant 1980 n'est pasjugée pertinentecar moins de 5 % d'entre elle est réceptive à la rougeole.Cependant, laconduite à tenirpeut être modulée pour une personne exposée à un cas de rougeole (voir ci-dessous).

Les personnes nées avant 1980, non vaccinées et sans antécédent connu de rougeole ou de rubéole, qui exercent des professions de santé en formation, à l'embauche ou en poste , doivent recevoir une dose de vaccin trivalent ROR. La vaccination avec une dose de vaccin trivalent ROR est fortement recommandée pour les personnes travaillant dans les services accueillant des patients à risque de rougeole grave (immunodéprimés). Les professionnels travaillant au contact des enfants doivent aussi recevoir une dose de vaccin trivalent ROR. Pour l'ensemble de ces personnels dont les antécédents de vaccination ou de maladie (rougeole, oreillons ou rubéole) sont incertains, la vaccination peut être pratiquée sans qu'un contrôle sérologique préalable soit systématiquement réalisé.

3.3. Le cas du voyageur.

Lors d'un voyage dans un pays de circulation intense du virus de la rougeole , la vaccination peut être pratiquée dès l'âge de 6 mois avec une dose de vaccin trivalent (le vaccin monovalent Rouvax, auparavant recommandé entre 6 et 8 mois révolus, n'est plus disponible). Cette recommandation s'appuie sur cette référence [1]. Dans ce cas, l'enfant recevra par la suite deux doses de vaccin trivalent ROR en application du calendrier vaccinal général, décrit ci-dessus. Le système intelligent d'analyse des immunisations de MesVaccins.net aide le voyageur ou le professionnel de santé à optimiser la gestion de la vaccination selon le contexte géographique et les conditions du voyage.

4. Conduite à tenir devant un cas de rougeole

La conduite à tenir devant un cas de rougeole a trois** objectifs** :

  1. Aider le malade à guérir sans séquelles.
  2. Eviter l'apparition de la maladie chez les personnes entrées en contact avec le malade et donc susceptibles d'avoir été infectées.
  3. Eviter l'extension du nombre de cas dans la collectivité.

Pour atteindre ces objectifs, la médecine dispose de trois moyens : la déclaration du cas, l'adoption de mesures d'hygiène et des moyens thérapeutiques (vaccins et immunoglobulines).

La mise en oeuvre de ces moyens doit être adaptée à chaque situation.

Les recommandations suivantes s'appuient sur plusieurs textes [1, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12], en particulier l'aide-mémoire de la direction générale de la santé [1] et la circulaire N°DGS/RI1/2009/334 du 4 novembre 2009 [6], qui va être prochainement mise à jour.

4.1. Connaître les bonnes définitions pour savoir gérer la conduite à tenir autour d'un ou de plusieurs cas de rougeole.

4.1.1. Cas de rougeole.

Voici les définitions d'un cas de rougeole (avec des commentaires du rédacteur en italique).

Cas clinique. Cas présentant les critères cliniques, sans examen biologique réalisé et qui n'est pas lié épidémiologiquement à un autre cas de rougeole confirmé. Les critères cliniques associent une fièvre ≥ 38,5 °C, d'une éruption maculo-papuleuse(taches rouges en relief de quelques millimètres avec des intervalles de peau saine, débutant sur le visage, derrière les oreilles, autour de la bouche puis atteignant tout le corps en 3 à 4 jours) et au moins l'un des signes suivants : conjonctivite, coryza (rhume), toux ou signe de Köplik(un signe rare mais caractéristique de la rougeole).

Cas confirmé biologiquement. Patient ayant présenté des signes cliniques évocateurs de rougeole et pour lequel un ou plusieurs critères de confirmation biologique sont présents (confirmation indirecte par la présence d'anticorps dirigés contre le virus de la rougeole ou confirmation directe par la détection du génome viral avec une technique appelée PCR).

Cas confirmé épidémiologiquement. Cas qui répond à la définition d'un cas clinique et qui a été en contact dans les 7 à 18 jours avant le début de l'éruption avec un cas de rougeole confirmé.

4.1.2. Sujet contact.

Une personne qui est entrée en contact avec un cas de rougeole a été exposée et risque à son tour de présenter la maladie. On utilise dans cette situation le terme de " sujet contact". Il est important de donner une définition précise d'un sujet contact afin que la mise en oeuvre des mesures de prévention soit pertinente et s'adresse aux bonnes personnes. Parmi les personnes ayant côtoyé le malade pendant sa période de contagiosité (5 jours avant et jusqu'à 5 jours après le début de l'éruption), deux sortes de sujets contacts sont différenciées : les contacts proches et les contacts dans les autres collectivités.

a) Les contacts proches incluent :

  • Toute personne vivant dans l'entourage familial du cas de rougeole (personne de la famille vivant sous le même toit) ;
  • Tout enfant ou adulte de la même section en crèche ou en halte garderie ;
  • Tout enfant ou adulte exposé au domicile de garde quand le cas est gardé par une assistante maternelle ;

b) Les contacts dans les autres collectivités incluent :

  • Toute personne, enfant ou adulte, ayant partagé la même collectivité (par exemple dans une école, un collège, un lycée, un internat ou le lieu de travail) et ayant fréquenté de manière concomitante les mêmes locaux que le malade (classe, cantine, dortoir, bureau…), quelle que soit la durée de cette fréquentation.

4.1.3. Personne immunisée ou réceptive à la rougeole.

Une personne est considérée comme immunisée si elle a reçu deux doses d'un vaccin contre la rougeole ou si elle a un antécédent documenté de rougeole. Une personne est considérée comme réceptive à la rougeole si elle a reçu moins de deux doses d'un vaccin contre la rougeole et n'a aucun antécédent documenté de rougeole [1, 6].

4.1.4. Cas groupé.

Les cas groupés se définissent comme la survenue de trois cas ou plus de rougeole parmi lesquels au moins un cas a été confirmé biologiquement dans une même zone géographique (commune, arrondissement, département), sur une période de temps limitée (quelques jours voire quelque semaines). Le seuil du nombre de cas est ramené à deux si les cas fréquentent une même collectivité (école, colonie de vacances, crèche…). En pratique, c'est l'Agence régionale de santé (ARS) qui confirme l'existence de cas groupés sur le terrain.

4.2. Prendre en charge le cas de rougeole.

Il faut assurer, dans la mesure du possible, la prise en charge du patient à domicile. Cependant, la rougeole peut entrainer des complications qui vont nécessiter une hospitalisation afin que le patient bénéficie d'une prise en charge adaptée.

4.3. Déclarer le cas de rougeole.

La déclaration est importante car elle permet la mise en place de mesures de contrôle ou d'actions de prévention. Les médecins doivent signaler immédiatement tout cas de rougeole, sans attendre les résultats biologiques, par téléphone (de préférence), télécopie ou courriel à l'Agence régionale de santé (ARS). Les contacts non ou insuffisamment vaccinés de ces cas (voir ci-dessous) doivent bénéficier des mesures de prévention dans les meilleurs délais.

4.4. Prendre des mesures d'hygiène.

Devant tout patient suspecté de rougeole (c'est-à-dire présentant une éruption cutanée fébrile caractéristique), la mise en œuvre des mesures barrières suivantes est nécessaire :

  • privilégier les prélèvements biologiques à domicile ;
  • isoler le patient, lui faire laver les mains et porter un masque chirurgical ;
  • assurer la protection individuelle du professionnel de santé (notamment par le port d'un masque respiratoire, mais aussi par sa vaccination) ;
  • rappeler à l'entourage du patient les règles d'hygiène (lavage des mains ou leur désinfection à l'aide d'une solution hydro-alcoolique) ;
  • recommander l'éviction de la collectivité jusqu'à 5 jours après le début de l'éruption ;
  • l'éviction de la collectivité du malade (un terme consacré pour indiquer qu'il ne doit pas rester en contact avec des personnes auxquelles il pourrait transmettre l'infection) est recommandée pendant toute la période de contagiosité, à savoir jusqu'à 5 jours après le début de l'éruption ;
  • aérer les zones de présence du patient car la transmission aérienne du virus reste possible jusqu'à 2 heures dans un espace clos après son départ.

En cas d'hospitalisation, des mesures seront mises en place par le personnel soignant : chambre individuelle, aérée fréquemment, limitation des déplacements hors de la chambre, port d'un masque lors de toute sortie de la chambre.

4.5. Vacciner ou administrer des immunoglobulines pour éviter la maladie chez les sujets contacts exposés à la rougeole.

Les mesures à prendre visent à éviter le développement de la maladie chez les sujets contacts autour d'un cas clinique ou confirmé biologiquement pour les contacts proches, et les contacts d'un cas confirmé biologiquement dans les autres collectivités (le nombre de personnes concerné dans cette situation pouvant être important, il faut s'assurer de la réalité de l'exposition).

Le choix de la vaccination ou des immunoglobulines pour éviter la maladie chez une personne exposée à la rougeole est déterminé par le temps écoulé depuis l'exposition, les antécédents de rougeole ou de vaccination, l'existence éventuelle de contre-indications à la vaccination et les facteurs de risque de rougeole grave chez la personne exposée. La vaccination peut éviter le passage à la maladie si elle est réalisée dans les 72 heures suivant le contage. Les immunoglobulines polyvalentes par voie intraveineuse peuvent prévenir la rougeole si elles sont administrées dans les 6 jours suivant le contage : elles ne sont recommandées que pour les personnes à risque de rougeole grave exposées à un cas confirmé , après évaluation hospitalière (pédiatrie ou infectiologie). Leur administration se fait par voie intraveineuse et nécessite une courte hospitalisation. On considère que la protection conférée par les immunoglobulines est d'environ un mois. Les Figures 1 et 2, extraites de l'aide-mémoire sur les recommandations vaccinales et sur les mesures préventives autour d'un cas de rougeole, résument les conditions d'utilisation de la vaccination et des immunoglobulines [1].

4.5.1. Le sujet contact est un nourrisson âgé de moins de 6 mois.

La vaccination contre la rougeole n'est pas autorisée avant l'âge de 6 mois. En effet, la vaccination n'est pas suffisamment efficace avant cet âge, notamment parce que le vaccin (qui est un virus vivant atténué) est inactivé par les anticorps maternels, et d'autre part parce que la tolérance du vaccin dans cette situation n'a pas été suffisamment évaluée.

Le bébé est protégé par les anticorps de sa mère si celle-ci est immune (c'est-à-dire vaccinée à deux doses ou possédant un antécédent documenté de rougeole). En cas de doute, une sérologie de la rougeole peut être réalisée en urgence chez la mère. Si celle-ci n'est pas immune, le seul moyen de protéger le nourrisson est de lui administrer une seule injection d'immunoglobuline polyvalentes par voie intraveineuse dans les six jours suivant le contage avec un cas confirmé.

Le calendrier vaccinal général à deux doses de vaccin ROR s'applique ensuite au nourrisson, en respectant toutefois un délai d'au moins neuf mois après l'administration d'immunoglobulines. L'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) recommande une posologie de 200 mg/kg. Une dose supplémentaire de vaccin ROR sera proposée, sans sérologie préalable, aux personnes ayant reçu une dose d'immunoglobulines en prophylaxie post-exposition de la rougeole et ayant été vaccinées dans un délai inférieur à 9 mois. Ces personnes recevront donc au total trois doses de vaccin, les deuxième et troisième doses devant être espacées d'au moins un mois.

4.5.2. Le sujet contact est un nourrisson âgé de 6 à 11 mois non immunodéprimé.

Pour un nourrisson âgé de 6 à 11 mois, il est recommandé d'administrer une dose de vaccin trivalent ROR. Cette administration sera réalisée hors autorisation de mise sur le marché (AMM) entre 6 et 8 mois révolus, en raison de l'arrêt de la production du vaccin monovalent Rouvax, qui était le seul vaccin autorisé dans ce cadre. Elle doit si possible être réalisée dans les 72 heures suivant le contact présumé. L'enfant recevra par la suite deux doses de vaccin trivalent suivant les recommandations du calendrier vaccinal : première dose à l'âge de 12 mois et seconde dose entre 16 et 18 mois. Au delà de 72h et dans un délai de 6 jours maximum par rapport au contage, il recevra des immunoglobulines.

4.5.3. Le sujet contact est âgé d'au moins 12 mois et n'est pas une personne immunodéprimée ou enceinte.

Pour les personnes âgées d'au moins un an et nées depuis 1980 , l'objectif est d'atteindre deux doses de vaccin trivalent, conformément au calendrier vaccinal général. Si la personne n'est pas vaccinée, il faut donc lui administrer une dose de vaccin ROR dans les meilleurs délais pour prévenir la maladie, quels que soient ses antécédents vis-à-vis des trois maladies (rougeole, oreillons ou rubéole) et sans sérologie préalable. Si la personne a déjà reçu une dose dans le passé, il faut lui administrer dans les meilleurs délais une seconde dose en respectant un intervalle d'au moins un mois par rapport à la première dose. L'avis du Haut Conseil de la santé publique du 28 juin 2013 recommande par ailleurs qu'une troisième dose de vaccin ROR soit administrée chez les personnes ayant initié leur vaccination avant l'âge de 12 mois dans les 72 heures suivant le contage [10].

Pour les personnes nées avant 1980, selon l'arbre de décision publié dans le "Guide pour l'immunisation en post-exposition : vaccinations et immunoglobulines" et le document intitulé "Aide-mémoire sur les recommandations vaccinales et sur les mesures préventives autour d'un cas",il est recommandé d'administrer une dose de vaccin trivalent ROR à toute personne née avant 1980 réceptive à la rougeole (c'est-à-dire non vaccinée, vaccinée avec une seule dose ou sans antécédent de rougeole) et exposée à un cas de rougeole (qu'il s'agisse ou non d'un professionnel).

En situation de cas groupés , la plupart des cas sont confirmés épidémiologiquement et la valeur prédictive positive du diagnostic clinique est plus élevée qu'en situation endémique (en d'autres termes, il y a de très fortes chances pour qu'une personne présentant des signes évocateurs soit bien atteinte de rougeole). La vaccination est ainsi recommandée aux contacts proches et en collectivité sans attendre les résultats de laboratoire.

A l'exception du cas très particulier de la mère d'un nourrisson âgé de moins de 6 mois et exposé à la rougeole, il n'est pas recommandé de réaliser une sérologie de la rougeole pour déterminer la conduite à tenir. Si le résultat de cette sérologie est disponible, il peut justifier la non vaccination d'une personne née avant 1980. Si ce résultat n'est pas disponible, réaliser une sérologie pour l'obtenir serait une perte de temps et de chances d'éviter la rougeole pour la personne exposée, tandis qu'administrer un vaccin vivant atténué à une personne déjà immunisée ne présente aucun inconvénient du fait de l'inactivation du virus vaccinal par les anticorps préexistants.

4.5.4. Le sujet contact est une femme enceinte.

La vaccination contre la rougeole est contre-indiquée chez la femme enceinte (rappelons cependant qu'une vaccination réalisée par inadvertance chez une femme enceinte n'est pas un motif d'interruption de grossesse). Comme nous l'avons déjà indiqué, l'administration d'immunoglobulines dans les six jours suivant le contage peut éviter le développement d'une rougeole chez une femme enceinte réceptive (c'est-à-dire non vaccinée, vaccinée avec une seule dose ou sans antécédent de rougeole).

4.5.5. Le sujet contact est une personne immunodéprimée âgée d'au moins 12 mois.

La rougeole est mortelle chez le patient immunodéprimé. La vaccination contre la rougeole étant contre-indiquée, les immunoglobulines doivent être utilisées quel que soit son statut vaccinal et ses antécédents de rougeole. Parmi les dix décès déclarés au cours de l'épidémie de 2008 à 2011, sept étaient des patients immunodéprimés (un cas d'immunodéficience congénitale, un lymphome d'Hodgkin, une maladie de Crohn, un cas d'infection à VIH, trois cas sous traitement immunosuppresseur) [13]. Aucun ne semble avoir bénéficié d'un traitement par immunoglobulines dans le délai recommandé de six jours après l'exposition. La création d'un carnet de vaccination électronique pour les personnes à risque de rougeole grave contribuerait à améliorer la prise de conscience de ce problème par les professionnels de santé, par les patients eux-mêmes et par leur entourage. Il permettrait de leur transmettre directement la connaissance des mesures de protection des personnes immunodéprimées, que ce soit en dehors de tout contexte d'exposition ou en cas d'exposition à la rougeole.

4.5.6. Gestion d'un cas de rougeole en établissement de soins.

Au cours de l'épidémie actuelle, plusieurs cas sont survenus dans des hôpitaux (on les désigne sous le terme d'infections nosocomiales). Tout cas de rougeole confirmé ou suspecté doit être signalé à l'équipe opérationnelle d'hygiène et à la direction. Si les précautions complémentaires air (port de masque) n'ont pas été mises en place dès l'admission, les sujets contacts doivent être recherchés parmi les patients, les visiteurs et le personnel (toute personne intervenant dans le service : kinésithérapeute, manipulateur radio, bénévoles…). Les personnes à risque de forme grave doivent également être identifiées. Le Centre de prévention des infections associées aux soin (CPias) de la région Auvergne Rhône-Alpes a publié un logigramme interactif intitulé "Rougeole, suis-je protégé-e" sur la conduite à tenir devant un cas de rougeole à l'hôpital.

Figure 1 : Prévention de la rougeole dans les 72 heures suivant un contact avec un malade.

Figure 2 :** Prévention de la rougeole lorsque le contact avec un malade estsurvenu depuis plus de 72 heures et moins de six jours.**

5. Outils

Le système d'analyse de l'immunisation du carnet de vaccination électronique de MesVaccins.net intègre les conduites à tenir pour chaque situation (âge, grossesse, immunodépression, délai depuis le contage...), aidant les professionnels de santé comme les citoyens à lutter de manière plus efficace et plus pertinente contre la rougeole.

Santé publique France a édité la liste suivante des actions à réaliser selon le lieu d'exercice, qui peut aider le professionnel de santé à vérifier qu'il a bien appliqué les mesures recommandées.

En cabinet de ville

  • Accélérer la prise en charge, éviter le séjour prolongé du cas en salle d'attente
  • Rechercher et identifier les patients contacts ayant fréquenté la salle d'attente
  • Informer les sujets contacts, vérifier leur statut vaccinal et porter l'indication d'une vaccination ou de l'administration d'immunoglobulines
  • Si hospitalisation : contacter le médecin hospitalier qui accueillera le cas (service ou urgences) pour appliquer les mesures préventives dès l'arrivée du malade

Aux urgences

  • Isoler le patient, limiter ses déplacements, lui faire porter un masque chirurgical, limiter le nombre d'intervenants
  • Accélérer la prise en charge
  • Délivrer une information à l'ensemble du personnel des urgences et du service de biologie avant l'envoi d'un échantillon biologique
  • Rechercher et identifier les sujets contacts du cas suspect

En hospitalisation

  • Informer le personnel (chef de service en collaboration avec l'équipe opérationnelle d'hygiène)
  • Prendre en charge le cas par du personnel dédié : personnel immunisé contre la rougeole
  • Limiter le nombre d'intervenants
  • Rappeler au personnel les pratiques d'isolement spécifiques : Isoler le patient (chambre seule, visites et déplacements limités, mise en place des précautions complémentaires de type air)
  • Renforcer les précautions standards pour le personnel
  • Rechercher et identifier les patients contacts avec traçabilité du parcours du patient (ARS et équipe opérationnelle d'hygiène de l'établissement)
  • Informer les patients contacts, vérifier leur statut vaccinal ou orienter vers le médecin traitant et porter l'indication d'une vaccination si nécessaire selon le calendrier vaccinal ou de l'administration d'immunoglobulines
  • Informer le service de biologie de tout cas suspect avant l'envoi d'un prélèvement
  • S'assurer de l'arrêt de travail du cas personnel (médecin du travail de l'établissement)
  • Faire une déclaration d'infection nosocomiale à l'ARS et au CPIAS
  • Identifier le personnel contact d'un cas
  • Vérifier le statut vaccinal des membres du personnel soignant (dossier du service de santé au travail)
  • Mettre à jour la vaccination du personnel non immunisé

Laboratoire de biologie hospitalier

  • Réaliser des examens biologiques pour confirmer le diagnostic chez les cas suspects
  • Adresser en virologie les recherches de PCR ou s'assurer de la disponibilité des kits salivaires dans les services d'urgence (le kit salivaire permet de prélever un échantillon de salive qui sera transmis au centre national de référence des virus de la rougeole pour réaliser le diagnostic de la rougeole)
  • Acheminer au centre national de référence de la rougeole les salives ou les échantillons positifs par PCR (détection du génome du virus de la rougeole) en vue d'un génotypage
  • Informer le prescripteur de la confirmation d'un cas et de la nécessité de le signaler puis le notifier

6. Références

  1. Aide-mémoire sur les recommandations vaccinales et sur les mesures préventives autour d'un cas (14 mars 2018) - Direction générale de la santé ;
  2. Note de synthèse de l'OMS sur les vaccins contre la rougeole– avril 2017 ;
  3. Santé publique France. Bulletin épidémiologique rougeole. Données de surveillance au 14 mars 2018 ;
  4. Antona D, Lévy-Bruhl D, Dina J, Vabret A. Epidémiologie de la rougeole en France en 2017 - Actualisation des données au 12/02/2018. Santé publique France - Centre national de référence de la rougeole, de la rubéole et des oreillons. Bulletin épidémiologique rougeole. Données de surveillance au 12 février 2018 ;
  5. Wendorf KA, Winter K, Zipprich J, Schechter R, Hacker JK, Preas C, Cherry JD, Glaser C, Harriman K. Clin Infect Dis. 2017 Jul 15;65(2):226-232. Subacute Sclerosing Panencephalitis: The Devastating Measles Complication That Might Be More Common Than Previously Estimated ;
  6. Circulaire N°DGS/RI1/2009/334 du 4 novembre 2009 relative à la transmission obligatoire de données individuelles à l'autorité sanitaire en cas de rougeole et la mise en oeuvre de mesures préventives autour d'un cas ou de cas groupés (cette circulaire devrait prochainement être mise à jour) ;
  7. Fiches pratiques pour la mise en oeuvre des recommandations de la circulaire N°DGS/RI1/2009/334 du 4 novembre 2009 ;
  8. Plan d'élimination de la rougeole et de la rubéole en France - 2005-2010 ;
  9. Avis du 28 juin 2013 relatif à la vaccination contre la rougeole avant l'âge de 12 mois ;
  10. Avis du 28 juin 2013 relatif à la conduite à tenir vis-à-vis des enfants ayant reçu une 1ère dose de vaccin trivalent rougeole-oreillons-rubéole avant l'âge de 12 mois ;
  11. Guide pour l'immunisation en post-exposition : vaccinations et immunoglobulines ;
  12. Le calendrier vaccinal 2018 (publié le 9 février 2018) - Vaccination contre la rougeole, les oreillons et la rubéole ;
  13. Antona D, Lévy-Bruhl D, Baudon C, Freymuth F, Lamy M, Maine C, et al. Measles Elimination Efforts and 2008–2011 Outbreak, France. Emerg Infect Dis. 2013;19(3):357-364.