L'épidémiologie de la rougeole dans le monde en avril 2019

Publié le 18 avr. 2019 à 13h09

Biographie

- Professeur agrégé du Val-de-Grâce.
- Médecin épidémiologiste.

Liens d'intérêt

- Pas de lien d'intérêt avec l'industrie du médicament

Cet article est une synthèse des données épidémiologiques concernant la rougeole dans le monde et particulièrement en Europe. La plupart des figures ci-dessous ont été créées par l'auteur à partir des données factuelles disponibles aujourd'hui.

La figure 1 présente l'évolution du nombre de cas de rougeole dans les régions de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2005 à mars 2019 (sources OMS Genève et OMS Europe).

Depuis 2017, après une tendance à la baisse (diminution de 586 701 cas en 2005 à 132 328 cas en 2016, soit une baisse de 75 %), on observe une augmentation des cas qui perdure en 2019 notamment dans les régions Europe et Amériques.

En 2018, le total des cas déclarés à l'OMS dans le monde est supérieur à 300 000 cas. Des flambées épidémiques ont été observées, notamment dans la région des Amériques (Brésil 10 326 cas, Vénézuela 5 643 cas, États-Unis 372 cas) et en Europe (Ukraine 53 218 cas, France 2 953 cas, Italie 2 953 cas).

Le nombre de cas déclarés pour 2019 à la fin du mois de mars est égal à 112 163 soit une augmentation de 25 % par rapport à la même période de 2018. Les deux régions OMS les plus touchées sont la région Afrique avec 59 943 cas (augmentation de 386 %) et la région Europe avec 34 383 cas (augmentation de 72 %).


Figure 1 : Cas déclarés de rougeole (confirmés et suspects cliniques et épidémiologiques non testés) dans les six régions de l'OMS (2005 à mars 2019)


La figure 2 détaille l'évolution du nombre de cas de rougeole déclarés dans les pays de la région Europe de l'OMS (53 pays) de 2005 à 2018.

Le nombre de cas a atteint 423 259 cas dans cette région et 205 décès ont été déclarés durant la période. Tous les cas ne sont pas confirmés (de 13 % à 55 % des cas déclarés sont confirmés sur la période pour l'ensemble des pays).


Figure 2 : Cas déclarés de rougeole (Confirmés et suspects cliniques et épidémiologiques non testés) dans les pays de la région Europe de l'OMS (2005-2018)


La figure 3 présente l'incidence de la rougeole pour 100 000 personnes de 2016 à mars 2019 dans les pays de la région Europe de l'OMS.

Les effectifs moyens de populations pour le calcul des taux sont calculés à partir des données disponibles sur le site de la Banque mondiale.

Les taux les plus élevés (supérieur ou égal à 10 pour 100 000) sur la période sont observés dans plusieurs pays de la mer Noire (Ukraine qui est le pays le plus touché, Roumanie, Géorgie, Moldavie), dans les Balkans (Albanie, Serbie et Kossovo, Macédoine, Monténégro), en Biélorussie (Belarus), dans quatre pays de l’Union européenne en plus de la Roumanie (Grèce, Italie, République Tchèque, Slovaquie) et en Israël.

Figure 3 : Incidence de la rougeole pour 100 000 personnes dans les pays de la région Europe OMS (2016-mars 2019) - Incidences indiquées pour les pays avec incidence supérieure ou égale à 10 pour 100 000 - Sources : OMS, Euvac.net, ANSP France


La figure 4 présente les cas cumulés de rougeole déclarés (confirmés et suspects cliniques et épidémiologiques non testés) des pays de la région Europe de l'OMS de 2005 à mars 2019 (tous les pays de cette région OMS ne sont pas représentés sur la carte).

Les pays avec les nombres cumulés les plus élevés s'observent dans l'ensemble des pays de la mer Noire (Ukraine, Fédération de Russie, Géorgie, Turquie, Bulgarie, Roumanie), dans les Balkans (Serbie, Kossovo) et dans six pays de l'Europe de l'ouest (Italie, Allemagne, France, Royaume-Uni, Confédération helvétique, Espagne).

Les graphiques de la figure 4 mettent en parallèle les couvertures vaccinales (vaccins Rougeole 1 [R1] et Rougeole 2 [R2]) de 2005 à 2018  (sauf pour la Bulgarie) et le nombre de cas annuels de rougeole de 2005 à mars 2019 dans quelques pays indicateurs :

  • Suède : pays qui contrôle la rougeole (entre 1 et 52 cas confirmés annuels déclarés sur la période) grâce à de fortes couvertures vaccinales (CV) R1 et R2 (>95%).
  • Royaume-Uni : en début de période l'impact de « l'affaire Wakefield » (fraude scientifique) sur les CV R1 et R2 est toujours présent, avec une persistance de la rougeole (entre 78 et 1910 cas sur la période) ; cette fraude est un des facteurs favorisant la défiance vaccinale en plein essor actuellement dans le monde malgré plusieurs études démontrant l'absence de lien entre survenue de troubles du spectre de l'autisme et vaccination anti-rougeoleuse, dont la plus récente date de 20191.
  • France : l'insuffisance des CV R1 et surtout R2 est à l'origine des flambées épidémiques périodiques de rougeole favorisées par de nombreuses absences de vaccinations dans des populations particulières (groupes religieux adeptes de l'immunisation naturelle et de l'abstinence vaccinale comme en 20082 et groupes anti-vaccinaux). De plus, est également en cause l'absence de rattrapage vaccinal chez les adolescents et adultes jeunes (plus d'un million de personnes réceptives).
  • Italie : même profil que la France.
  • Roumanie : les flambées épidémiques de rougeole jusqu'en 2010 sont en rapport avec les populations ayant des difficultés d'accès à la prévention et à l'offre de soins, comme par exemple les populations Roms 3,4, malgré de fortes CV nationales R1 et R2 ; on observe une baisse récente des CV nationales qui vont sans doute favoriser dans le futur l'apparition d'autres flambées épidémiques de rougeole plus importantes.
  • Bulgarie : une forte flambée épidémique de rougeole est survenue entre 2009 et 2011 (un peu plus de 24 000 cas) malgré de très bonnes CV nationales R1 et R2 ; cette flambée était également en lien avec des populations Roms5 ayant des difficultés d'accès à la prévention et à l'offre de soins comme en Roumanie et dans d'autres pays européens3,4 ; de fortes CV nationales ne garantissent pas toujours la prévention de flambées épidémiques liées à des groupes ou des régions moins protégées.
  • Ukraine : pays en crise, dont celle avec la Russie de 2013 à 2014, à l'origine d'une désorganisation des activités vaccinales depuis 2008 avec pour conséquence l'émergence de plusieurs flambées épidémiques dont la dernière depuis 2017 qui dure a été à l'origine de plus de 80 000 cas de rougeole ; cet exemple souligne l'impact des crises et des conflits sur les activités de contrôle des maladies comme c'est souvent le cas dans certains pays d'Afrique.

La figure 5 présente la situation de la rougeole dans le monde de 2005 à 2015, la figure 6 la situation de 2016 à 2018 et la figure 7 l'incidence 2016-2018 pour 100 000 personnes.

La figure 8 présente la situation de la rougeole de janvier à mars 2019. Six pays ont déclaré plus de 2 500 cas : Madagascar (46 187), Ukraine (25 319), Inde (7 246), Nigéria (3 813), Kazakhstan (3 414) et Tchad (2 862). L'épidémie la plus importante actuellement est celle qui se déroule à Madagascar depuis septembre 2018 (environ 123 000 cas) (voir distribution géographique à la Figure 9). La Mongolie où une flambée a été à l'origine de 54 000 cas de 2015 à 20166, n'a déclaré que 10 cas depuis 2017 dont aucun en 2019.

La figure 10 présente l'évolution du nombre annuel de décès estimés liés à la rougeole dans le monde de 2005 à 2018.

Figure 4 : Distribution des cas déclarés de rougeole dans les pays de la région Europe OMS et évolution des couvertures vaccinales rougeole 1 et 2 et des cas de rougeole de quelques pays indicateurs (Suède, Royaume-Uni, France, Italie, Roumanie, Bulgarie, Ukraine) de 2005 à mars 2019


 Figure 5 : Cas cumulés de rougeole (cas déclarés confirmés et suspects cliniques et épidémiologiques non testés) dans le monde de 2005 à 2015 (nombre de cas indiqués pour les pays avec au moins 30 000 cas cumulés) - Sources : OMS Genève, OMS Afrique, MMWR États-Unis, ANSP France


Figure 6 : Cas cumulés de rougeole (cas déclarés confirmés et suspects cliniques et épidémiologiques non testés) dans le monde de 2016 à 2018 (nombre de cas indiqués pour les pays avec au moins 30 000 cas cumulés) - Sources : OMS Genève, OMS Afrique, MMWR États-Unis, ANSP France


Figure 7 : Incidence de la rougeole pour 100 000 personnes dans le monde (2016-2018) (incidences indiquées pour les pays avec incidence supérieure ou égale à 100 pour 100 000) - Sources : OMS Genève, OMS Afrique, MMWR États-Unis, ANSP France


Figure 8 : Cas cumulés de rougeole (cas déclarés confirmés et suspects cliniques et épidémiologiques non testés) dans le monde de janvier à mars 2019 (nombre de cas indiqués pour les pays avec au moins 2 500 cas cumulés) - Sources : OMS Genève, OMS Afrique (OEW n°15-2019), ANSP France


Figure 9 : Distribution géographique des cas et décès dus à la rougeole à Madagascar du 3 septembre 2018 au 4 avril 2018 [Figure extraite du Weekly Bulletin on Outbreaks and other Emergencies n°15, 14 april 2019]



Figure 10 : Nombre de décès de rougeole estimés dans le monde (2005-2018)


Entre 2005 et 2018 la rougeole a été à l'origine de 2 365 000 décès estimés globalement dans le monde, majoritairement parmi les enfants de moins de 5 ans. Depuis 2017 on observe une augmentation du nombre de décès estimés, parallèle à l'augmentation des cas (voir figure 1), supérieurs à 100 000 décès par an.

Il n'est pas possible de calculer la létalité de la rougeole à partir de ces données : les décès mondiaux sont des estimations et les cas de rougeole sont des cas déclarés inférieurs à la réalité. En effet la sous-déclaration des cas, d'importance variable, par les professionnels est la règle quel que soit le pays ; de plus de nombreux malades n'ont pas recours aux systèmes de santé (de l'ordre de 40 % par exemple lors de la recrudescence de la rougeole en France en 20087).


Références

Hviid A et al. Measles, Mumps, Rubella Vaccination and Autism. Annals of Internal Medicine 2019.

2 Guimier L. Miviludes. Rapport 2016 et premier trimestre 2017. Études. pp 115-38.

Health and the Roma Community, analysis of the situation in Europe. Bulgaria, Czech Republic, Greece, Portugal, Romania, Slovakia, Spain 2009.

Roma Health Report. Health status of the Roma population. Data collection in the Member States of the European Union 2014.

Muscat M et al. Eurosurveillance 2016 21(9).

Orsoo O et al. BMC Public Health 2019 19:201.

7 Parent du Châtelet I et al. BEH thématique 2009;39-40:415-19.

Liens pour les sources de données sur la rougeole