Dengue : résultats prometteurs pour le candidat vaccin de Takeda
La dengue est une arbovirose en constante expansion. On considère qu'elle menace aujourd'hui 40 % de la population mondiale, partout où les moustiques qui assurent sa transmission, essentiellement Aedes aegypti et Aedes albopictus, se sont eux-mêmes répandus. Si elle évolue le plus souvent sur un mode bénin, des formes graves, parfois mortelles, sont possibles et sont responsables de plus de 20 000 décès annuellement. Il s'agit surtout de formes hémorragiques ou avec syndrome de choc, au cours desquelles les malades présentent des altérations des capillaires sanguins et des anomalies de la coagulation dont le déterminisme exact fait toujours l'objet de recherches.
Il existe 4 virus de la dengue, DENV-1 à DENV-4, très apparentés. Alors que l'infection par l'un des 4 virus laisse une immunité protectrice durable contre le même virus, cette immunité ne protège pas contre les 3 autres virus. Il est donc possible de refaire une dengue, et c'est souvent au cours des infections secondaires que sont observées les formes les plus graves. Bien que les mécanismes à l'origine de ce phénomène ne soient pas encore bien identifiés, il est largement admis que des anticorps formés lors de la première infection pourraient se comporter en "facilitateurs" pour le 2ème virus. L'existence de ces anticorps devenus facilitants est bien démontrée in vitro ; la facilitation pourrait avoir une origine qualitative (les anticorps formés contre le 1er virus reconnaissent le 2ème mais sont incapables de le neutraliser) ou quantitative (la concentration des anticorps capables de neutraliser le 2ème virus est insuffisante et l'infection des cellules s'en trouve favorisée).
La recherche de vaccins contre la dengue a commencé dans la première moitié du XXème siècle, mais elle se heurte à plusieurs difficultés :
- L'existence de 4 virus responsables de la maladie et du phénomène de facilitation de la 2ème infection interdit de vacciner de façon séquentielle : le vaccin doit protéger contre les 4 virus avec la même efficacité, afin de ne pas laisser de possibilité d'infection par l'un des virus alors qu'une immunité a été établie contre les autres. Il faut donc identifier et produire les antigènes correspondant à ces 4 virus, sous une forme qui doit également être définie et se montrer efficace : virus entier atténué ou inactivé, vaccins sous-unités, recombinants…
- Les candidats vaccins doivent ensuite être testés, d'abord chez l'animal. Or, on ne connait pas d'animal de laboratoire faisant des formes de dengue semblables à celles de l'Homme et donc permettant d'évaluer correctement l'efficacité mais surtout les effets indésirables d'un vaccin, particulièrement le risque de facilitation de l'infection.
- Les préparations correspondant à chacun des 4 virus doivent enfin être testées chez l'Homme, d'abord individuellement, ensuite en combinaison. La proportion relative des 4 valences doit être déterminée de façon à produire une réponse équilibrée.
Alors que plusieurs tentatives de mise au point, utilisant diverses plateformes (virus inactivé, antigènes purifiés, vaccins ADN), ont échoué, Sanofi est parvenu à élaborer un vaccin atténué utilisant 4 souches de virus de la fièvre jaune modifiées pour exprimer la protéine d'enveloppe (E) des 4 virus de la dengue. Cependant, utilisé pour une grande campagne de vaccination aux Philippines en 2016, le vaccin Dengvaxia s'est montré insuffisamment efficace chez les sujets âgés de moins de 9 ans et contre le virus dengue 2. Surtout, il a été associé à la survenue de cas de dengue grave chez des enfants qui n'avaient jamais fait de dengue auparavant. La campagne de vaccination a été interrompue dans un climat très tendu, et Sanofi a dû réserver le vaccin aux personnes âgées de 9 à 45 ans ayant déjà été infectées par un virus de la dengue et vivant en zone d'endémie.
En France, depuis 2019, le vaccin Dengvaxia n'est pas recommandé d'une manière générale dans les départements et territoires d'outre-mer ; il peut toutefois être proposé aux habitants des Antilles et de Guyane pouvant apporter la preuve virologique d'une infection antérieure par un virus de la dengue (Figure 1).
Figure 1 : Copie d'écran du diagnostic vaccinal personnalisé présenté dans le carnet de vaccination électronique d'un adolescent âgé de 16 ans, résidant en Martinique et apportant la preuve documentée d’une infection confirmée ; dans cette situation le vaccin contre la dengue Dengvaxia peut être proposé.
Le laboratoire Takeda s'est également lancé dans la mise au point d'un vaccin contre la dengue, dans lequel les protéines prM et E des 4 souches du virus sont exprimées par des virus dengue 2 modifiés. Un essai de phase 3 (essai TIDES) a commencé il y a 3 ans. Il a évalué l'efficacité et la tolérance du candidat vaccin TAK-003 chez 20 000 enfants et adolescents âgés de 4 à 16 ans, en bonne santé et vivant en zone d'endémie de dengue. L'efficacité du vaccin contre les infections confirmées a été de 62 % globalement ; elle a été de 65 % chez les sujets déjà infectés et de 54,3 % chez les sujets naïfs. Contre les formes de dengue nécessitant une hospitalisation, l'efficacité dans ces mêmes groupes a été respectivement de 83,6 %, 86 % et 77,1 %.
Dans son communiqué, Takeda fait surtout état de la bonne tolérance du vaccin et de l'absence d'aggravation des cas de dengue survenus après vaccination. L'essai se poursuit avec un suivi de la protection à long terme et une évaluation de l'intérêt d'une 3ème dose ("boost") pour renforcer et prolonger l'immunité.
A terme, Takeda envisage de faire autoriser son vaccin pour la prévention de la dengue chez les personnes de 4 à 60 ans, qu'elles aient été ou non antérieurement exposées à l'infection.
Référence