En France, la bronchiolite aiguë du nourrisson est une infection virale contagieuse qui concerne environ 480 000 enfants chaque hiver, soit près de 30% des moins de 2 ans. Le virus respiratoire syncitial (VRS) est responsable de 80% des bronchiolites qui sévissent sur un mode épidémique dont le pic s’étend généralement de novembre à la fin de l’hiver.
La bronchiolite est en général bénigne, sa phase aiguë dure en moyenne dix jours et les deux premiers jours nécessitent une attention accrue auprès du nourrisson. Elle constitue cependant un problème de santé publique car 2 à 3 % des nourrissons de moins d’un an sont hospitalisés pour une bronchiolite sévère chaque année, dont plusieurs dizaines de milliers avec une infection par le VRS rencontrée en majorité chez des nourrissons de moins de 6 mois sans facteur de risque (durant l’hiver 2022/23, 73 000 enfants ont été admis aux urgences pour une bronchiolite et environ 26 000 ont été hospitalisés). Cette épidémie met en difficulté chaque année l’ensemble du système de soins pédiatrique en France tant ambulatoire qu’hospitalier et entraîne une perte de chance pour les enfants porteurs d'une autre pathologie du fait des nombreuses déprogrammations de prises en charge. Elle a également un impact familial et sociétal lié à l’absentéisme parental en raison de l’âge des enfants concernés, à la tolérance des structures de garde, au coût émotionnel lié à la gestion symptomatique, aux difficultés d’accès aux soins primaires et aux urgences, aux séparations engendrées par les hospitalisations ou de la gravité des situations.
L'impact des infections à VRS ne se limite par à la bronchiolite. L'infection à VRS qui est fréquemment associée à une otite, a également un impact sur la consommation d'antibiotiques (La prescription inappropriée d'antibiotiques lors d'infections aiguës virales des voies respiratoires est assez fréquente en pédiatrie). A long terme, les relations entre infection à VRS et asthme sont suspectées.
Dans ce contexte, un anticorps monoclonal à longue demi-vie, le nirsévimab (Beyfortus®), vient compléter l'arsenal des traitements préventifs des bronchiolites à VRS en tant que deuxième anticorps monoclonal disponible à ce jour, après Synagis® (palivizumab), indiqué chez les enfants à risque élevé d’infection à VRS.
Nous présentons ici la stratégie de prévention des infections à VRS qui sera mise en œuvre en France au cours de la prochaine saison automno-hivernale. Elle reposera sur une campagne d’immunisation par nirsévimab chez les nouveau-nés et nourrissons qui débutera en France métropolitaine le 15 septembre 2023 et durera jusqu’à la fin de l’épidémie, généralement observée fin janvier. Le nirsévimab viendra en complément à l’application des mesures barrières (lavage des mains, aération des pièces, port du masque en cas de rhume…) qui restent essentielles pour prévenir l’infection.
1. Infections à VRS : moyens d’immunisation active (vaccins) et passive (anticorps monoclonaux)
Il n'existe pas de traitement actif pour l'infection.
1.1. Les vaccins
Le vaccin Arexvy de GSK est autorisé dans l'Union européenne depuis le 16 juin 2023 pour la protection des personnes âgées contre les infections par le VRS.
La FDA américaine et maintenant l’EMA ont recommandé d’autoriser la mise sur le marché du vaccin Abrysvo pour la protection des nouveau-nés par administration du vaccin durant la grossesse et celle des personnes de 60 ans et plus contre les infections des voies respiratoires basses par le VRS (voir la nouvelle du 8 août 2023). A ce jour la place de ce vaccin chez la femme enceinte n’est pas encore définie en France, mais leur élaboration est en cours.
1.2. Les anticorps monoclonaux anti-VRS : deux anticorps monoclonaux sont disponibles, ce ne sont pas des vaccins
Le palivizumab (Synagis®) est disponible depuis 1999 pour la prévention des infections respiratoires basses dues au VRS. Il cible le site II de la protéine F du VRS. La fréquence des injections nécessaires (une injection intramusculaire par mois pendant toute la durée de la saison épidémique du fait d'une demi-vie de 21 jours) ainsi que son coût élevé l’a fait réserver aux nourrissons grands prématurés avec vulnérabilité respiratoire et aux enfants porteurs de cardiopathies avec retentissement hémodynamique.
Un nouvel anticorps monoclonal anti VRS, le nirsevimab (Beyfortus®), est maintenant disponible. C'est une immunoglobuline G1 (IgG1) recombinante humaine dirigée contre un épitope conservé de la glycoprotéine F dans sa conformation pré-fusion (site Ø). Cet anticorps bénéficie depuis octobre 2022 d’une AMM européenne chez les tous les nouveau-nés et les nourrissons au cours de leur première saison de circulation du VRS. Le 19 juillet 2023 (mise en ligne 1 août 2023) la Haute autorité de Santé (HAS) a considéré que le nirsevimab était susceptible d’avoir un impact supplémentaire sur la santé publique et a émis un avis favorable à son inscription sur la liste des spécialités remboursables. Le 24 août 2023, la Direction générale de la Santé (DGS) a défini les modalités de prévention médicamenteuses des infections à VRS à partir de septembre 2023, positionnant le nirsevimab comme un élément clé de la prévention des infection à VRS en France, chez les nourrissons de moins de un an. Le nirsevimab a un fort pouvoir neutrralisant, et après injection, la concentration maximale est atteinte en 6 jours et la durée de la protection attendue est d’au moins 5 mois. Ces anticorps va ainsi fournir une protection immédiate pendant la durée d'une saison de VRS typique de 5 mois dans les régions tempérées. Toutefois, l'extensibilité dans les pays où le VRS circule toute l'année pourrait s'avérer plus difficile et plus coûteuse. Dans les 3 essais cliniques publiés, effectués sur près de 12.000 nourrissons (y compris des prématurés), l’efficacité sur les hospitalisations pour bronchiolite à VRS a été estimée autour de 80% et la tolérance de l'anticoprs a été comparable à celle du placebo (N Engl J Med. 2020 Jul 30;383(5):415-425. doi: 10.1056/NEJMoa1913556, Lancet Child Adolesc Health. 2023 Mar;7(3):180-189. doi:10.1016/S2352-4642(22)00321-2, N Engl J Med. 2022 Mar 3;386(9):837-846. doi:10.1056/NEJMoa2110275.). Comme tout médicament, Beyfortus® est cependant susceptible d'entraîner des effets indésirables. Bien que peu fréquents, ces effets indésirables potentiels sont : une éruption cutanée (rash), une réaction au site d'injection (induration, œdème et douleur), de la fièvre. Ces effets indésirables ne sont pas graves et peuvent apparaître jusqu’à quelques jours après l’injection. Ils sont en général d'intensité légère ou modérée et de courte durée. Dans les études ayant comparé Synagis® et Beyfortus®, les effets secondaires sont les mêmes, bien connus depuis 1999.
2. Quelle sera la place du nirsevimab au cours de l’hiver 2022-2023 ?
2.1. Où ? Quand ? Pour qui ?
La période d’utilisation du nirsevimab s’étendra du 15 septembre (date de mise à disposition de l’anticorps à l’hôpital et en ville) à la fin janvier (habituellement, fin de la période épidémique).
Le nirsevimab est recommandé chez (tous) les nourrissons nés à partir du 6 février 2023 en métropole avec ou sans facteurs de risque, c’est à dire les nourrissons considérés comme non exposés au VRS lors de la saison épidémique précédente. L’indication concerne donc toute une tranche d’âge. Pour les DROM-COM (Départements ou Régions français d'Outre-Mer et Collectivités d'Outre-Mer), la population à protéger est en cours de définition.
L’administration se fera à l’hôpital ou en maternité, où elle pourra concerner :
L'administration de nirsevimab en ville, devrait concerner en premier lieu les nourrissons nés entre le 6 février 2023 et le 14 septembre 2023. Elle doit être effectuée prioritairement avant le début de l’épidémie car ces nourrissons sont considérés comme non exposés au VRS lors de la saison épidémique précédente et donc dépourvus d'immunité. En second lieu, la médecine de ville assurera le rattrapage des traitements non administrés à l’hôpital. La visite de la deuxième semaine sera l’occasion de l’administration si la prescription a été faite à la maternité, ou de la prescription dans le cas contraire.
2.2. Aspects pratiques
a. La prescription
L'administration de nirsévimab n'est pas obligatoire. Si les parents souhaitent la faire effectuer, une prescription est obligatoire (médecin hospitalier, médecin traitant, pédiatre, médecin de PMI, sage-femme) et se fait sur une ordonnance classique.
La famille doit être informée que le nirsevimab, comme tout médicament (fiche ANSM), est susceptible d'entraîner des effets indésirables (paragraphe 1.2.) et l'accord du ou des parents doit être recueilli.
Les contre-indications sont rares :
La posologie :
Le nirsevimab est présenté en seringue préremplie est adaptée de 50 ou 100 mg de produit actif. La dose à administrer doit être adaptée au poids de l'enfant :
Il n’y a pas de poids minimal (le RCP précise que chez les enfants de moins de 1 kg le rapport bénéfices/risques est à évaluer soigneusement) pour administrer le nirsevimab. Concernant le terme de la grossesse, les données disponibles sont limitées chez les enfants extrêmement prématurés âgés (âge gestationnel [AG] < 29 semaines). Il n'y a pas de données cliniques disponibles chez les nourrissons dont l'âge post-menstruel (AG à la naissance + âge chronologique) est inférieur à 32 semaines. Infovac précise qu’il est bien rare que les grands prématurés sortent de l’hôpital avant 34 semaines. L’infection nosocomiale à VRS étant relativement rare, il est donc conseillé de faire l’injection quelques jours avant la sortie. Par contre, il pourra être nécessaire d’anticiper les prises de poids en fonction du délai entre la date de prescription et celle d’administration.
b. Dispensation
La dispensation est assurée par les pharmacies à usage intérieure (PUI) à l’hôpital et par les pharmacies d’officine en ville. Si la prescription a été faite à la maternité, mais l’administration n’y a pas été réalisée, le parent présentera l’ordonnance à la pharmacie le plus rapidement possible pour une administration à l'occasion de la visite de la 2éme semaine.
Le pharmacien, sur prescription médicale, commande le nirsevimab directement auprès du laboratoire SANOFI via le remplissage d’un formulaire en ligne. La dispensation (délai de livraison de 3 à 6 jours) se fait sans facturation aux familles pour la saison 2023/24.
Le médicament se conserve entre 2° C et 8° C et une fois sorti de l’enceinte réfrigérée il doit être protégé de la lumière et utilisé dans les 8 heures (20-25 °C).
c. Administration
Les médecins, les sage-femmes (depuis le 14 septembre 2023) et les infirmiers (sur prescription médicale) peuvent administrer le nirsevimab.
Un contrôle à l’œil nu de l’aspect limpide du produit est à faire. Il ne doit présenter aucune particule, ni décoloration.
L’administration se fait un une seule injection intramusculaire dans la partie antéro-latérale de la cuisse, l’existence d’une thrombopénie ou de troubles de la coagulation nécessitant l’application des précautions classiques dans ces situations.
Le nirsevimab peut être coadministré :
La traçabilité de l’administration est assurée par l'inscription sur la page, « Autres vaccinations » du carnet de santé. La dose, le lot, le site, la date d’administration et la signature du professionnel de santé doivent y figurer.
Tout effet indésirable doit être déclaré conformément à la règlementation en vigueur au Centre Régional de pharmacovigilance (CRPV) de sa région ou sur le portail national de signalement.
2.3. Cas particuliers
Cas 1 : survenue d’une infection des voies respiratoires inférieures après l’administration de nirsévimab. Un prélèvement virologique est recommandé pour rechercher la présence du VRS et d’une éventuelle résistance au nirsévimab (envoi de la souche au CNR).
Cas 2 : un enfant pour lequel le palivizumab est indiqué.
La HAS précise que pour les enfants à risque élevé d’infection au VRS éligibles au palivizumab (Synagis®), celui-ci reste une option thérapeutique. Dans son avis, le Conseil national professionnel de pédiatrie (CNPP) considère cependant que chez les enfants à risque élevé d’infection grave à VRS (grands prématurés nés à un terme < 29 semaines, dysplasie bronchopulmonaire ou autre pathologie pulmonaire chronique, cardiopathies congénitales), la priorité doit être donnée au nirsevimab considérant que cet anticorps a un profil de sécurité équivalent au palivizumab, mais un schéma d’injection simplifié (une seule injection au lieu de 5, faisable en dehors de l’hôpital), qui rend cette prophylaxie beaucoup moins invasive pour le nourrisson et la logistique d’injection plus simple pour les familles et les services hospitaliers, et ce malgré l’absence d’essai ayant comparé spécifiquement l’efficacité du nirsevimab par rapport au palivizumab.
Par ailleurs, le palivizumab (Synagis®) peut être indiqué jusqu’à l’âge de 2 ans chez les enfants ayant certaines pathologies sous-jacentes, bien qu'ils en soient probablement à leur deuxième saison épidémique. Infovac considère que chez ces patients l’efficacité et la tolérance attendues du nirsevimab sont au moins égales à celles du palivizumab. Aussi, à partir des données des études Melody et Medley ainsi que des recommandations de l’Advisory Committee on Immunization Practices 2023, une dose de 200 mg pourrait être proposée aux enfants éligibles au traitement au cours de leur 2e année d’exposition.
3. Les mesures préventives antérieurement préconisées sont toujours d'actualité
La large administration attendue du nirsevimab ne doit pas faire oublier les autres mesures préventives.
L’allaitement maternel doit être promu et soutenu.
Des mesures barrières strictes sont recommandées autour des nourrissons de moins de 1 an, et renforcées autour des moins de 3 mois :
4. Conclusions
L’indication du nirsevimab sera à réévaluer à l’issue de la saison 2023/2024 en fonction des résultats de la stratégie adoptée cette saison et de l'évolution des recommandations (place de la vaccination maternelle au troisième trimestre de la grossesse).
Deux points soulèvent des interrogations. Il s'agit d'une part du risque d'émergence de résistances du VRS sous la pression de sélection de cet anticorps monoclonal, et d'autre part de savoir si le système immunitaire des enfants traités par nirsevimab est capable de produire des anticorps dirigés contre le VRS.
5.1. Risque d'émergence de résistances au nirsevimab
Certains éléments sont rassurants :
D’autres incitent à la prudence :
5.2. Les enfants traités par nirsevimab peuvent-ils développer une immunisation naturelle vis à vis du VRS ?
Une étude sérologique (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37095249/) a porté sur 2 143 enfants prématurés et nés à terme inclus dans les essais de phase 2b et de phase 3 MELODY. Les résultats publiés en mars 2023 suggèrent que les patients ayant reçu le nirsevimab et le placebo ont été exposés de la même manière au VRS (environ 70% des patients inclus dans chacun des bras des études possèdent des anticorps dirigés contre la protéine F du VRS dans sa forme post-fusion). Pour savoir si le nirsevimab a affecté la réponse immunitaire naturelle des enfants infectés par le VRS au cours de l'étude, les auteurs ont examiné les taux d'anticorps neutralisants du VRS au jour 361 chez les receveurs de nirsevimab dont les taux de médicament étaient indétectables et qui avaient soit une infection par le VRS confirmée par PCR, soit une exposition au VRS identifiée sur la présence d'anticorps post-F. Les taux d'anticorps neutralisants anti-VRS étaient similaires ou légèrement supérieurs chez les patients ayant reçu du nirsevimab par rapport aux patients du groupe placebo. Cela suggère que les patients ayant reçu du nirsevimab ont développé une réponse par anticorps anti-VRS après l'infection et que le nirsevimab offre une protection contre la maladie, tout en permettant au système immunitaire du nourrisson de déclencher des anticorps dirigés contre le VRS. Ces résultats doivent être confirmés par d'autres études.
5. Références et sources d'information
5.1. Professionnels de santé
Agence européenne des médicaments :
Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Lettre aux professionnels de santé. Beyfortus (nirsévimab), solution injectable en seringue pré-remplie: informations essentielles sur ce traitement préventif des bronchiolites à VRS.
Collège de Médecine Générale : prévention des bronchiolites à VRS des nourrissons par l’utilisation d’un anticorps monoclonal au cabinet : le Nirsévimab (Beyfortus®), 5 septembre 2023.
Décret n° 2023-878 du 14 septembre 2023 modifiant la liste des classes thérapeutiques ou médicaments autorisés aux sages-femmes pour leur usage professionnel ou leur prescription auprès des nouveau-nés figurant dans le tableau II de l'annexe 41-4 du code de la santé publique.
Direction générale de la Santé
Haute autorité de Santé
Infovac
Observatoires des médicaments, dispositifs médicaux et innovations thérapeutiques (OMéDIT)
Société française de néonatologie et Conseil national professionnel de pédiatrie. Avis. Stratégie de prévention des bronchiolites à VRS des nourrissons : Avis du conseil national des professionnels de pédiatrie (CNPP) et de la Société Française de Néonatologie. 5 juin 2023.
5.2. Parents
Ministère de la Santé et de la Prévention. La bronchiolite : questions/réponses en direction des parents. Mise à jour 28-08-2023.
ANSM. Information pour les parents. Votre enfant va recevoir du Beyfortus : informations sur les effets indésirables.
Santé publique France. Votre enfant et la bronchiolite. Mis à jour le 14 septembre 2023.