Vaccins contre variants : comment gagner la partie ? La HAS émet des recommandations

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1. Un petit rappel pour mieux comprendre

La covid 19 est une maladie virale causée par un coronavirus, le SARS-CoV-2. A l'extérieur de ce virus se trouve la protéine S (également appelée protéine de spicule ou protéine Spike) qui donne en microscopie électronique un aspect en couronne à l'origine du nom "coronavirus". La protéine S est codée par le génome viral, constitué d'acide ribonucléique (ARN) ; elle permet l'attachement aux cellules respiratoires, première étape de l'infection. Comme toutes les protéines, la protéine S est constituée d'un assemblage d'unités de base appelées acides aminés. Plus précisément, elle contient 1 273 acides aminés. Chaque acide aminé porte un numéro en fonction de sa position (n° 1 pour le premier acide aminé au n° 1 273 pour le dernier acide aminé). Chaque acide aminé est représenté par un code à une lettre. Par exemple, D est l'acide aspartique et G est la glycine. Ainsi, la mutation D614G (dont il est question ci-dessous) correspond à une substitution d'une glycine par un acide aspartique en position 614 de la protéine, modifiant les propriétés de celle-ci.

D’une manière générale, les virus à ARN mutent plus facilement que les virus à ADN (acide désoxyribonucléique). Par rapport à d'autres virus à ARN (virus de la grippe, VIH), le coronavirus est plutôt stable car il possède une enzyme, appelée exoribonucléase, qui corrige les erreurs de copie. Pas assez stable toutefois pour empêcher l'apparition de variants dont certains ont un avantage leur permettant de diffuser de manière plus importante dans la population. C'est ainsi que depuis septembre 2020 des variants sont apparus dans plusieurs pays (Royaume-Uni, Afrique du Sud, Brésil, mais aussi Japon, Etats-Unis et Inde). Ces variants comportent plusieurs mutations de la séquence du génome viral du SARS-CoV-2, celle-ci codant des protéines (notamment la protéine S) différentes. Ces mutations peuvent favoriser la transmission du virus, sa virulence ou affecter sa détection par certains tests. La surveillance de ces variants repose sur l'analyse de leurs caractéristiques par des techniques d'épidémiologie moléculaire. La comparaison informatique des séquences des ARN des virus identifiés permet de les classer et de les rattacher à un virus parent commun afin de mieux suivre leur progression dans les populations humaines. Chaque variant identifié est ainsi affecté à un "lignage". En France, les études moléculaires sont réalisées notamment par le Centre national de référence des virus des infections respiratoires. Un compte rendu de la surveillance épidémiologique des variants est régulièrement publié par Santé Publique France (1).

Les variants sont classés en trois catégories en fonction des propriétés nouvelles qu'ils ont pu acquérir :

1. Variant préoccupant

, ou VOC (« variant of concern » en anglais) : variant pour lequel il a été démontré en comparant avec des virus de référence :

  • Une augmentation de la transmissibilité ou un impact défavorable sur l’épidémiologie de la covid 19, comme par exemple un échappement à l’immunité naturelle post-infection ;
  • Une augmentation de la gravité ou un changement de présentation clinique ;
  • Une diminution de l’efficacité des mesures de contrôle et de prévention mises en place (tests diagnostiques, vaccins, molécules thérapeutiques).

2. Variant à suivre

, ou VOI (« variant under investigation » ou « variant of interest » en anglais) : variant caractérisé par des changements significatifs et responsable d’une transmission importante ou d'une diffusion internationale.

3. Variant en cours d’évaluation

, ou VUM (« variant under monitoring ») : absence d’éléments virologiques, épidémiologiques ou cliniques probants en faveur d’un impact en santé publique en France ou à l’international, malgré la présence de mutations partagées avec un ou plusieurs variants préoccupants ou à suivre.

Quatre variants préoccupants (VOC) ont été identifiés à ce jour :

  • 20I/501Y.V1 (lignage B.1.1.7), dit "anglais" ;
  • 20H/501Y.V2 (lignage B.1.351), dit "sud-africain" ;
  • 20J/501Y.V3 (lignage P.1), dit "brésilien" ;
  • 202102/02, correspondant au variant anglais avec une mutation E484K.

2. Variants du SARS-CoV-2 et vaccination

La multiplication et la diffusion de souches de SARS-CoV-2 ayant accumulé des mutations dans les protéines qui sont les cibles de l'immunité sont suivies avec attention. La réponse immunitaire développée au cours d'une infection ou par la vaccination, constituée d'anticorps et de cellules effectrices, est censée éliminer le virus et empêcher une nouvelle infection, mais elle peut se montrer inefficace, au moins partiellement, si les mutations du virus ont significativement modifié sa "signature" antigénique.

Alors qu'une partie de la population est désormais immunisée contre la souche historique du virus, soit à la suite d'une infection, symptomatique ou non, soit par la vaccination, et que beaucoup de pays misent sur une généralisation de la vaccination pour mettre fin à l'épidémie, l'une des questions qui se posent est de savoir si l'immunité obtenue constituera une protection contre les variants du virus. Leur émergence et leur niveau de "résistance" ou "d'échappement" aux vaccins pourraient imposer des changements de stratégie de contrôle.

L'apparition de mutations chez les virus est un phénomène continu et aléatoire, mais plusieurs conditions peuvent favoriser la sélection de mutations ou d'assortiments de mutations dont le virus variant peut tirer avantage :

  • L'extension toujours en cours de l'épidémie augmente la taille de la population globale de virus dans la population humaine et multiplie les possibilités d'émergence de mutants mieux adaptés ;
  • Le passage du virus à d'autres espèces, comme le Vison, accroît encore cette possibilité et constitue un "réservoir" dans lequel le virus se maintient et qui peut devenir une source d'infection pour l'Homme ;
  • L'établissement d'infections persistantes chez certains individus permet au virus de produire des variants qui n'apparaîtraient pas en cas d'élimination rapide et ne pourraient pas être transmis. L'administration de sérums de convalescents ou d'anticorps monoclonaux à ces individus, souvent immunodéprimés, peut sélectionner des variants d'échappement, qui ne sont plus reconnus pas les anticorps.

Face à cette situation, il est nécessaire d'utiliser au mieux les moyens de protection dont on dispose. La Haute Autorité de santé (HAS) a mené une réflexion sur ce sujet et fait part de recommandations dans un avis du 8 avril 2021 (2). Ces recommandations visent à rendre l'utilisation des vaccins disponibles la plus efficace possible, dans l'attente de vaccins adaptés aux variants viraux qui pourraient s'avérer nécessaires à l'avenir.

Aujourd'hui, parmi plusieurs variants signalés, trois focalisent surtout l'attention, car on craint qu'ils se révèlent plus contagieux ou plus pathogènes (responsables de formes de covid 19 plus graves) : ce sont les variants détectés initialement au Royaume-Uni (variant anglais ou B.1.1.7 ), en Afrique du Sud (B.1.351) et au Brésil (P1). Ces virus qualifiés de "variants préoccupants" en raison des risques potentiels qu'ils représentent, font partout l'objet de surveillance et de recherches ; ils ont en commun quelques mutations, apparues de façon quasi-simultanée mais en des lieux différents, ce qui signifie qu'elles sont associées à un avantage évolutif. Plusieurs de ces mutations touchent la protéine S du virus, responsable de la fixation au récepteur cellulaire et cible principale des anticorps protecteurs produits lors de l'immunisation. Certaines, comme D614G, ont rendu le virus plus infectieux ; elles pourraient aussi éventuellement lui permettre de ne plus être reconnu par les anticorps présents chez les personnes déjà infectées ou vaccinées.

Les études de laboratoire ou "en vie réelle" dont on dispose à présent ont montré que l'immunité induite par le virus original et par les vaccins les plus utilisés, qui sont tous dérivés d'une souche "historique", protège contre le variant anglais. Par contre, la protection pourrait ne pas être complètement assurée contre les variants sud-africain et brésilien, de façon variable selon le vaccin. En effet, si tous ont choisi comme antigène la protéine S, les vaccins à ARN messager de Pfizer (Comirnaty) et de Moderna (COVID-19 Vaccine Moderna ou mRNA-1273) ainsi que le vaccin à vecteur adénovirus de Janssen (Janssen COVID-19 Vaccine) font exprimer aux cellules une forme stabilisée de la protéine (S-2P) qui expose mieux les cibles des anticorps. Les études menées au laboratoire montrent que les vaccins à ARN induisent des anticorps dont l'activité neutralisante contre le variant 3.1.351 est plus faible que contre le virus original, tout en restant probablement suffisante pour maintenir une certaine efficacité dans la prévention de la maladie. D'autre part, à coté d'une réponse anticorps, les trois vaccins induisent une forte réponse cellulaire T CD8+ qui parait contribuer de façon importante à la protection et à la lutte contre l'infection.

Le vaccin d'AstraZeneca (Vaxzevria) utilise une autre forme de la protéine S. Très vite après sa mise en œuvre, l'Afrique du Sud a fait part d'une efficacité faible sur les infections par le variant local. Une étude a montré que le sérum d'individus ayant reçu le vaccin avait une efficacité neutralisante bien moindre sur le variant que sur la souche historique du virus. Les essais cliniques de phase 3 réalisés en Afrique du Sud avaient également montré une absence d'efficacité du vaccin pour la prévention des formes légères à modérées de la maladie (sans données concernant les formes graves). Bien que ces données méritent confirmation, les autorités françaises ont choisi de ne pas proposer ce vaccin en cas de risque élevé d'infection par les variants de type B.1.351.

Pour définir une stratégie de vaccination optimale, la HAS distingue plusieurs situations locales qui doivent être prises en compte, au regard de la présence de variants mais aussi des contraintes logistiques s'exerçant sur la mise à disposition des vaccins : la situation de certains départements d'Outre-mer (Guyane, Mayotte, la Réunion), celle de la Moselle et celle du reste du territoire national.

  • En Guyane, à Mayotte et à la Réunion, le variant sud-africain est majoritaire dans les prélèvements effectués depuis plusieurs semaines : sa prévalence dépasse 40 %. En raison des contraintes logistiques, ces territoires ne reçoivent qu'un type de vaccin, au moins dans un premier temps.
  • En Moselle, cette prévalence atteint 35 % mais elle ne semble plus progresser.
  • Sur le reste du territoire, elle est inférieure à 20 %.

Tenant compte de ces disparités, la HAS recommande d'utiliser uniquement les vaccins à ARNm de Pfizer ou Moderna dans les départements d'Outre-mer. En Moselle, où la prévalence du variant sud-africain est élevée mais stable, elle recommande de favoriser l'accès à ces mêmes vaccins, ainsi qu'au vaccin de Janssen dès qu'il sera disponible. Pour les vaccins à ARNm, le délai entre les deux injections devra rester de 3 à 4 semaines, afin d'atteindre le plus rapidement possible un bon niveau de protection.

La situation dans le reste du territoire national ne justifie pas de modification de la stratégie précédemment définie.

Alors que le communiqué de la HAS date de 10 jours, on peut remarquer que la stratégie recommandée devra probablement être adaptée pour prendre en compte le délai qui vient d'être annoncé dans la mise en œuvre du vaccin de Janssen, sur lequel reposaient plusieurs attentes. D'autre part, parmi les territoires dont la situation est analysée par la HAS, la Guyane est plus concernée par le variant brésilien (P.1) que par le variant sud-africain B.1.351. Les deux virus ont en commun plusieurs mutations, dont E484K, mais ils présentent des différences au niveau de la protéine S et des autres protéines. On dispose encore de peu de données sur l'efficacité des vaccins contre P.1, mais une étude en cours de publication semble rassurante (3) : ses auteurs concluent que "P.1 est significativement moins résistant que B.1.351 à la réponse anticorps induite par l'infection naturelle ou par la vaccination", que le vaccin utilisé soit celui de Pfizer ou de AstraZeneca. La réduction de l'effet neutralisant des sérums immuns vis-à-vis de P.1 est du même niveau que celle observée vis-à-vis du variant anglais, B.1.17.

La moindre efficacité réelle ou éventuelle de certains vaccins contre les variants du SARS-CoV-2, connus ou à venir, ne doit pas être un frein à la vaccination. Elle doit au contraire inciter à une accélération de la campagne, avec le recours aux vaccins disponibles les plus adaptés, afin de limiter au plus vite l'extension du virus et les possibilités de mutation.

L'efficacité de ces vaccins doit être évaluée au laboratoire et surveillée dans la vie réelle pour identifier rapidement la nécessité d'un changement éventuel de stratégie, et particulièrement celle d'une modification des vaccins, dans laquelle des fabricants se sont déjà engagés (actualité du 12 mars 2021), ou de prévoir de nouveaux rappels, au-delà de la deuxième dose. Parallèlement, il est nécessaire de poursuivre la détection et la surveillance de tous les variants viraux qui apparaissent un peu partout dans le monde pour identifier au plus vite ceux qui présentent des caractères phénotypiques nouveaux (VOI) et ceux qui sont associés à un risque accru de transmission, d'infection grave ou d'échappement aux mesures de contrôle (VOC) et qui imposent l'adaptation des stratégies de protection. Parmi ceux-ci, le variant B1617 initialement détecté en Inde, où il n'a pas encore été établi s'il était responsable ou non d'une aggravation de l'épidémie, suscite tout de même l'inquiétude depuis qu'il a également été détecté chez 77 personnes au Royaume-Uni (4). Toutefois, il n'existe pas encore assez de données pour le classer comme VOC.

Références

  1. Santé publique France. Coronavirus : circulation des variants du SARS-CoV-2.
  2. Haute Autorité de santé - Stratégie vaccinale contre la covid 19 : impact potentiel de la circulation des variants du SARS-CoV-2 sur la stratégie.
  3. W. Dejnirattisai, D. Zhou et coll. Antibody evasion by the Brazilian P.1 strain of SARS-CoV-2, bioRXiv.https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.03.12.435194v2
  4. BBC News. Covid: Indian variant being investigated in UK.

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