La stratégie "prime-boost" du vaccin anti-covid russe Sputnik V semble efficace

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Au mois de novembre dernier, les autorités russes avaient indiqué une efficacité de 92 % pour le vaccin Gam-COVID-Vac (ou Sputnik-V) développé par le Centre national de recherche en épidémiologie et microbiologie Gamaleya de Moscou, après un essai de phase 1/2 satisfaisant, mais alors que l'essai de phase 3 venait à peine de débuter. Dans la foulée, l'utilisation du vaccin avait été autorisée en Russie pour la protection de groupes particulièrement exposés ou vulnérables (actualité du 12 novembre 2020).

L'annonce et la mise en service avaient alors été jugées prématurées par la communauté internationale, dans l'attente de résultats solides validés par les experts des grandes revues internationales. L'article publié le 2 février dans The Lancet présente les résultats de l'analyse intermédiaire de l'essai de phase 3, portant sur les résultats obtenus au mois de novembre 2020 (1).

Le vaccin Sputnik V utilise la protéine S (ou protéine de spicule) complète du SARS-CoV-2, dont le gène est inséré dans le génome d'un adénovirus humain non réplicatif de type 26 ou de type 5.

1. Méthodes

Il s'agit d'un essai multicentrique, randomisé, en double aveugle et contrôlé par placebo. Cet essai a inclut des participants âgés de 18 ans ou plus sans antécédent de covid 19. L'existence d'une immunodépression était un critère d'exclusion. Les participants ont été répartis en cinq tranches d'âge (18-30 ans, 31-40 ans, 41-50 ans, 51-60 ans et > 60 ans) et ont été assignés au bras vacciné ou au bras placebo selon un ratio 3:1. Les participants ont été catégorisés en fonction de leur niveau de risque d'exposition au SARS-CoV-2 : les participants travaillant au contact de malades atteints de covid 19 étaient à risque élevé, et ceux ayant une profession les exposant à de nombreux contacts étaient à risque modéré. Les maladies associées ont été recherchées (diabète, hypertension, obésité, coronaropathie).

Chaque dose de vaccin Sputnik V contient 10¹¹ particules virales recombinantes (de l'adénovirus 26 ou bien de l'adénovirus 5) exprimant la protéine S. Le schéma vaccinal comporte deux doses administrées par voie intramusculaire à 21 jours d'intervalle. Une dose contenant l'adénovirus recombinant rAd26-S est administrée à J0 et une dose contenant l'adénovirus recombinant rAd5-S est administrée à J21 jours. Cette stratégie consistant à utiliser deux vaccins différents est appelée "prime-boost" ou "amorce-rappel". L'utilisation de deux vecteurs différents, expliquée sur ce site dédié au vaccin, a pour but d'éviter l'effet d'une immunité anti-vecteur développée après la première injection et qui pourrait nuire à l'efficacité de la deuxième (Figure 1).

Figure 1 : Avantages de l'immunisation prime-boost (laboratoire Gamaleya)
Source : site Sputnik V.

Le placebo correspondait au produit sans adénovirus recombinant.

Les visites étaient prévues à J0, J21, J28, J42 et J180. Un test PCR pour le SARS-CoV-2 était systématique à J0 et J21, et réalisé chez les participants présentant des symptômes au cours du suivi. La gravité de la maladie a été évaluée en cas de diagnostic de covid 19.

La réponse humorale (production d'anticorps) au vaccin a été évaluée à J0 et J42 par la mesure des IgG anti-RBD (domaine de liaison au récepteur de la protéine S) en ELISA et des anticorps neutralisants (test de microneutralisation de l'effet cytopathogène du SARS-CoV-2). Les taux de séroconversion et les moyennes géométriques des titres d'anticorps (MGT) ont été déterminés. La réponse cellulaire a été mesurée à J0 et J28 par quantification de la sécrétion d'interféron gamma (IFN-γ) lors de la stimulation d'une culture de cellules mononucléées du sang périphérique par la protéine S du SARS-CoV-2.

2. Résultats

Depuis le 7 septembre 2020, 16 501 participants ont été inclus dans le groupe vacciné et 5 476 dans le groupe placebo. L'analyse intermédiaire a porté sur 16 427 participants du groupe vaccin (74 exclusions) et 5 435 du groupe placebo (41 exclusions), qui ont reçu au moins une dose. Dans chaque bras, respectivement 14 964 et 4 902 participants avaient reçu deux doses. Le temps médian entre la première dose et l'analyse intermédiaire était de 48 jours. Parmi les participants ayant reçu deux doses, aucune différence n'a été relevée entre le groupe vacciné et le groupe placebo pour l'âge, le sexe, l'existence d'affections chroniques et le risque d'infection.

2.1. Efficacité vaccinale

A partir du 21ème jour après la première dose :

  • L'efficacité globale du vaccin était de 91,6 % (IC 95% 85,6-95,2) : on dénombrait 16 cas de covid 19 dans le groupe vacciné (0,1 %) contre 62 dans le groupe placebo (1,3 %).
  • L'efficacité dans tous les sous-groupes d'âge et de sexe était supérieure à 87 % : remarquablement, elle était de 91,8 % chez les plus de 60 ans.
  • l'efficacité du vaccin contre les formes modérées ou graves était de 100 %, avec 0 cas dans le groupe vacciné contre 20 dans le groupe placebo.

Ente J0 et J21, respectivement 63 et 34 cas de covid ont été confirmés dans le groupe vacciné et le groupe placebo. En incluant ces cas, l'efficacité globale du vaccin après la première dose était de 73,1 % et de 87,6 % à partir de J14. De 15 à 21 jours après la première dose, l'efficacité contre les formes modérées ou graves était de 73,6 %.

2.2. Immunogénicité

La réponse humorale (production d'anticorps) a été évaluée à J0 et J42. La recherche d' IgG-anti-RBD a été faite chez 456 participants (342 du groupe vacciné, 114 du groupe placebo). Aucun anticorps n'a été détecté à J0. A J42, les IgG-anti-RBD étaient détectées chez 98 % des vaccinés (15 % dans le groupe placebo), avec une MGT de 8 996 contre 31 dans le groupe placebo, et un taux de séroconversion de 98 % (15 % dans le groupe placebo). Les 18-30 ans produisaient plus d'anticorps que les autres tranches d'âge étudiées. La recherche d' anticorps neutralisants a été faite chez 100 participants (72 vaccinés et 28 dans le groupe placebo) : le taux de séroconversion pour ces anticorps était de 96 % dans le groupe vacciné et de 7 % dans le groupe placebo.

La réponse immunitaire cellulaire a été étudiée à J28 chez 58 participants (44 du groupe vaccin et 14 du groupe placebo). Tous les vaccinés avaient des niveaux de sécrétion d'interféron gamma significativement plus élevés lors de la stimulation par la protéine S par rapport au jour de l'administration de la première dose.

2.3. Sécurité vaccinale

L'analyse des événements indésirables graves a porté sur 21 862 participants (dont 19 866 ont reçu deux doses) : sur les 70 événements de ce type enregistrés, aucun n'a été rattaché à la vaccination.

Au cours de l'étude, quatre décès ont été enregistrés : aucun n'était en lien avec le vaccin ; 2 décès liés au covid ont été enregistrés dans le bras vacciné à J4 et J5 et les participants ont été considérés comme infectés avant l'inclusion dans l'étude.

Chez les 2 144 participants de plus de 60 ans, le groupe vacciné (n =1 611) ne différait pas du groupe placebo (n = 533) pour l'âge, le sexe, l'existence d'affections chroniques et le risque d'exposition au SARS-CoV-2. Chez les 1 369 participants ayant reçu deux doses (1 029 vaccinés, 340 dans le groupe placebo), les effets indésirables les plus fréquents dans le groupe vacciné étaient un syndrome pseudogrippal (15,2 % contre 8,8 % dans le groupe placebo) et une réaction locale (5,4 % contre 1,2 % dans le groupe placebo). Aucun effet indésirable de grade supérieur ou égal à 3 n'a été relié à la vaccination. Les données publiées ne permettent pas d'évaluer la tolérance dans les autres classes d'âge.

3. Conclusion

Les auteurs concluent que ces résultats intermédiaires montrent une grande efficacité, une immunogénicité et un bon profil de tolérance du vaccin Sputnik V chez les participants âgés de 18 ans ou plus.

L'essai russe n'a pas inclus de porteurs du VIH ou d'hépatite B ou C, ni de femmes enceintes ou allaitantes. Bien qu'il ait choisi comme critère le nombre de cas de covid 19 survenant à partir du jour d'inoculation de la seconde dose, il n'a pas été conçu pour discerner l'effet de la première dose. Les chercheurs indiquent qu'ils poursuivent les investigations sur ce point.

Des échanges sont en cours entre la Russie et l'Agence européenne des médicaments (EMA) au sujet d'une éventuelle demande d'autorisation du vaccin Sputnik V dans l'Union européenne.

Référence

  1. D.Y. Logounov, I.V. Dolzhikova et coll., Safety and efficacy of an rAd26 and rAd5 vector-based heterologous prime-boost COVID-19 vaccine: an interim analysis of a randomised controlled phase 3 trial in Russia. The Lancet, published online February 2, 2021 https://doi.org/10.1016/S0140-6736(21)00234-8