Disposons-nous enfin d’un « corrélat de protection » pour les vaccins anti-covid ?

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Les vaccins que nous connaissons sont utilisés en prévention des maladies infectieuses. On attend d'eux qu'ils empêchent l'infection par un agent pathogène, ou à défaut qu'ils empêchent le développement d'une maladie ou de ses manifestations les plus graves. Evaluer leur efficacité, particulièrement pendant les phases de développement, peut être difficile et demander beaucoup de temps. On évalue plus facilement leur immunogénicité, c'est dire leur capacité à induire une réponse immunitaire qui se traduit par l'apparition d'anticorps et de cellules spécialisées. Pour montrer que cette réponse est protectrice, lorsqu'il n'est pas envisageable d'infecter expérimentalement des volontaires (on parle de « challenge », réservé à des maladies à coup sûr bénignes), il est nécessaire de comparer les risques d'infection et de maladie entre des groupes de personnes vaccinées et non vaccinées qui vont se trouver naturellement exposées à l'infection. Si celle-ci se transmet peu, si d'autres mesures sont utilisées simultanément pour en limiter la transmission, ou si une partie de la population est déjà protégée ou non exposée, alors que des centaines ou des milliers de cas sont parfois nécessaires pour établir des statistiques fiables, l'évaluation de l'efficacité d'un vaccin peut prendre des mois ou des années. Après sa mise en service, la comparaison avec d'autres vaccins ou entre lots pour un même produit doit également être envisagée et pouvoir être menée rapidement.

Une autre situation dans laquelle on souhaite disposer d'un moyen d'évaluer la protection conférée par un vaccin est celle de cas individuels où cette protection est nécessaire et doit être vérifiée, alors que la revaccination n'est pas possible ou souhaitable.

La pandémie de covid 19 se prolonge, par vagues successives, et l'apparition de variants conduit à proposer de nouveaux vaccins qui doivent pouvoir être rapidement évalués et utilisés. La protection que peuvent procurer ces vaccins peut différer selon les antécédents et l'état des personnes auxquelles ils s'adressent.

On cherche donc à disposer de corrélats de protection, c'est-à-dire de marqueurs biologiques de préférence simples à mettre en évidence, détectables rapidement après la vaccination, indiquant que l'immunité contre la maladie s'est développée et qu'elle confère une protection effective contre ses manifestations en cas de contamination. Mais identifier un tel marqueur n'est pas chose facile et doit être envisagé au cas par cas : ce qui est valable pour une maladie ou un vaccin n'est pas transposable à tout autre situation. On sait cependant, car cela a été montré au terme d'études longues pour différents systèmes maladie/vaccin, que certains anticorps produits après la vaccination et relativement simples à quantifier au laboratoire sont bien les témoins d'une immunité protectrice.

Pour établir une protection, les vaccins stimulent le système immunitaire, provoquant deux types de réponse, l'une humorale (les anticorps), l'autre cellulaire (des lymphocytes T, capables entre autres de tuer les cellules étrangères ou modifiées). On sait étudier ces réponses, mais il n'est pas aisé d'identifier celle qui, qualitativement et quantitativement, sera la marque d'un état de protection. Comme il est relativement facile de mettre en évidence et de doser des anticorps, c'est à eux qu'on s'intéresse en priorité. Lorsqu'il est question de protection contre un agent infectieux, deux catégories d'anticorps sont recherchées :

  • L'ensemble des anticorps capables de se fixer aux antigènes de l'agent (« binding antibodies ») : ce sont les plus simples à analyser, par diverses méthodes automatisées, dont le classique ELISA. On s'intéresse alors aux anticorps qui reconnaissent un ou quelques antigènes particulièrement exposées et importants pour l'infection, comme la protéine S du SARS-CoV-2. Dans toute réponse immunitaire, ces anticorps sont nombreux et divers, et tous ne contribuent pas à établir une protection.
  • Les anticorps « neutralisants » qui, dans des tests de laboratoire, ont pour effet d'empêcher l'infection de cellules en culture par l'agent contre lequel ils sont produits. Ces tests sont de réalisation beaucoup plus complexe que les tests de fixation, mais ils sont maitrisés par de nombreux laboratoires et ils ont une très grande spécificité. Ils mettent en évidence des mécanismes qui contribuent probablement à la protection contre l'infection chez les personnes infectées, mais un parallèle ne peut pas être systématiquement établi entre la présence et la concentration de ces anticorps dans le sang et le niveau de protection.

Quel que soit le type d'anticorps auquel on souhaite s'intéresser, la « corrélation » entre ces anticorps et un niveau de protection doit être démontrée. Cela nécessite des études longues, au cours desquelles on doit parfois provoquer l'infection (chez l'animal ou chez l'Homme), on analyse la réponse immunitaire en fonction des manifestations et du pronostic de l'infection, on évalue les effets d'anticorps sélectionnés administrés avant ou après infection, on quantifie la relation entre efficacité vaccinale et concentration du marqueur. Dans un article paru dans le New England Journal of Medicine, P. Gilbert et coll. exposent l'état des connaissances accumulées sur les vaccins utilisés contre la covid 19. Ils arrivent à la conclusion que les données sont à présent plus abondantes pour la covid que pour la plupart des autres maladies à prévention vaccinale, et qu'elles conduisent à considérer que les anticorps neutralisants sont de bons corrélats de protection pour les vaccins disponibles. Ils peuvent être utilisés pour les prises de décisions qui concernent ces vaccins (vaccination initiale, cible et fréquence des revaccinations), qui n'ont pas ainsi à attendre les résultats d'études de protection. Les auteurs soulignent toutefois que les corrélats de protection restent à identifier pour nombre de situations : infection par des variants viraux, protection de groupes particuliers de population (telles que les personnes déjà infectées), vaccins faisant appel à des technologies différentes, aspects de l'infection contre lesquels la protection est recherchée.

La portée du corrélat annoncé est donc limitée. Il pourrait toutefois suffire pour fonder certaines décisions qui doivent être prises rapidement pour faire face à une épidémie toujours en cours et dont l'évolution est imprévisible.

Référence

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