La reconstitution d’un génome ancien de l’épidémie de grippe de 1918 permet de mieux comprendre l’adaptation du virus grippal à l’homme
Les virus de la grippe sont responsables de pandémies saisonnières. La plupart du temps classés comme faiblement pathogènes pour l’homme, ils peuvent néanmoins être responsables d’une mortalité non négligeable, touchant principalement les personnes âgées ou fragiles. Exceptionnellement, des virus associés à des infections beaucoup plus graves se répandent dans la population humaine. Ce fut le cas en 1918, lors de l’épidémie dite de « grippe espagnole », à laquelle on attribue des dizaines de millions de morts dans le monde, souvent de jeunes adultes. Beaucoup de recherches sont effectuées pour identifier les facteurs à l’origine de cet épisode, craignant qu’ils se trouvent à nouveau réunis et donnent lieu à une autre pandémie de grippe mortelle. On a évoqué des facteurs différents, parfois non virologiques (conditions de vie propres à la situation de guerre mondiale, coinfections, …), mais c’est au niveau du virus, de son pouvoir pathogène et de sa capacité à infecter l’homme, qu’on s’attend à trouver des explications. Depuis la fin des années 1990, l’accès à des échantillons de tissus prélevés sur des personnes décédées lors de la pandémie a permis à quelques laboratoires d’annoncer avoir « ressuscité » le virus de 1918. Il s’agit d’un virus de type H1N1, comme il en existe plusieurs variants de nos jours, mais porteur de mutations qui le rendrait plus pathogène.
La résurrection a généralement consisté à introduire dans un virus actuel des fragments de génome porteurs des mutations détectées dans le virus de 1918 (1,2). Tout récemment, grâce à une nouvelle technique d’extraction et d’analyse de l’ARN (la molécule dont le génome viral est constitué), des chercheurs ont reconstitué le génome quasi-complet (98,8%) du virus présent dans un échantillon de poumon prélevé sur un patient suisse décédé de la grippe le 15 Juillet 1918 (3). Ils ont pu ainsi mettre en évidence que, dès la première vague de l’épidémie, le virus portait des mutations favorisant sa transmission et sa virulence chez l’homme. Ils ont démontré, sur cet exemple, les performances de leur technique, qui devrait permettre de reconstruire des génomes viraux complets à partir de prélèvements historiques, même fixés au formol. D’autres virus anciens provenant d’échantillons humains ou animaux (VIH, Coronavirus … par exemple) pourraient être étudiés avec cette technique.
Les recherches de ce type visent à une meilleure connaissance des déterminants de la virulence des virus, rendant possible l’élaboration de mesures de protection des populations. Elles peuvent aussi servir à modifier des virus à des fins déterminées. Comme les recherches en « gain de fonction », qui consistent à provoquer les mutations des virus pour leur faire acquérir des propriétés nouvelles, elles sont qualifiées de « duales », susceptibles d’applications bénéfiques ou moins bien intentionnées. Alors que les bénéfices mis en avant se font attendre (5,6), elles ne devraient être possibles qu’en toute transparence et au prix de mesures de sécurité très strictes.
- J.K. Taubenberger, A.H. Reid et coll. 1997. Initial genetic characterization of the 1918 “Spanish” influenza virus. Science 275:1793–96.
- T.M. Tumpey, C.F. Basler et coll. 2005. Characterization of the reconstructed 1918 Spanish influenza pandemic virus. Science 310:77–80.
- C. Urban, B. Vrancken et coll. 2025. An ancient influenza genome from Switzerland allows deeper insights into host adaptation during the 1918 flu pandemic in Europe
- A. Garcia-Sastre et R.J. Whitley. 2006. Lessons learned from reconstructing the 1918 influenza pandemic
- B. Gilbertson et K. Subbarao. 2023. What Have We Learned by Resurrecting the 1918 Influenza Virus?
Cette nouvelle a été rédigée avec la contribution du Pr Hugues TOLOU.