Les arboviroses peuvent-elles devenir des maladies de premier plan en France métropolitaine ?

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Les arboviroses sont les maladies provoquées, chez l’Homme et chez les animaux, par des virus transmis principalement par la piqure d’arthropodes, des insectes hématophages (suceurs de sang) tels que les moustiques, les tiques et les phlébotomes. Ces virus, qui ont pour propriété remarquable la capacité d’infecter les cellules des insectes et celles de nombreux animaux vertébrés, mammifères, oiseaux, reptiles, sont appelés « arbovirus », contraction de « ARthropod-BOrne-VIRUS », traduit par « virus transmis par les arthropodes »

Il s’agit d’un groupe de virus très vaste et hétérogène, comportant plus de 500 espèces virales se différenciant par des critères de structure, de mode de réplication ou de séquence génétique. Une centaine de ces espèces sont connues pour pouvoir provoquer des maladies chez l’Homme. Elles sont classées dans plusieurs genres viraux, eux-mêmes regroupés dans plusieurs familles (surtout Flaviviridae et Togaviridae) ou ordre (Bunyavirales). Outre leur mode de transmission, les arbovirus partagent certaines caractéristiques : ce sont tous des virus enveloppés, au génome constitué d’ARN (à l’exception du virus de la peste porcine africaine, dont le génome est un ADN double brin et qui ne provoque pas de maladie chez l’Homme). Les maladies qu’ils provoquent sont dans la majorité des cas de courte durée et d’évolution favorable, se limitant le plus souvent à un syndrome grippal pouvant être accompagné d’éruption cutanée et laissant une immunité durable. Enfin, et il est important de bien le prendre en considération, ils peuvent parfois être transmis sans l’intervention de leur insecte vecteur, directement par le sang des hôtes infectés (chez l’Homme par la transfusion ou des piqures accidentelles, de l’animal à l’Homme à l’occasion de l’abattage ou de la mise bas), par les greffes d’organes, de la mère à son enfant (in utero ou lors de l’accouchement), ou par voie sexuelle.

Bien qu’elles soient généralement bénignes ou même asymptomatiques (dans 60 à 80 % des cas pour beaucoup d’entre elles), plusieurs arboviroses se signalent par la possibilité de complications ou de formes graves, surtout des atteintes neurologiques (encéphalites, encéphalomyélites) et des formes hémorragiques, marquées par des saignements et/ou la fuite diffuse de liquide plasmatique, pouvant aboutir à un état de choc généralement mortel.

La plupart des arboviroses, en tout cas les plus importantes, ont longtemps été vues comme des maladies exotiques, sinon exclusivement tropicales, ne menaçant que les populations locales et ceux qui se rendaient dans des régions qui étaient alors souvent des colonies. Se trouvaient donc concernés les voyageurs et les militaires issus de plusieurs pays, dont la France, et l’étude des arboviroses n’était abordée que dans deux champs de la médecine, un peu marginaux en métropole, la médecine militaire et puis celle des voyages. On s’intéressait alors surtout à la fièvre jaune, dont les épidémies ont marqué l’Histoire en Afrique et en Amérique équatoriales, et à la dengue, moins grave mais plus répandue, présente aussi en Asie et dans le Pacifique.

Presque aussi répandu que les virus de la dengue, le virus West Nile (VWN. « West Nile » étant le nom de la province ougandaise où le virus a été isolé pour la première fois en 1937, la traduction en « virus du Nil occidental » n’apparait pas justifiée !) est connu en France depuis le début des années 1960. Il a alors été isolé sur des cas humains, des chevaux, et des moustiques du genre Culex, très communs et capables de le transmettre. Des oiseaux ont également été trouvés infectés, appartenant à plusieurs espèces. Ils constituent le réservoir principal du virus et ont contribué, par leurs migrations, à sa dissémination sur tous les continents.

Dans les années 1990, les cas humains de West Nile restaient peu nombreux et bénins en France. Quelques cas équins étaient observés, souvent plus graves, l’infection pouvant atteindre le système nerveux et provoquant alors une paralysie mortelle. Les autres cas d’arboviroses déclarés en métropole étaient ceux de voyageurs rentrés infectés, le plus souvent par un des quatre virus de la dengue. Souvent, après élimination d’un diagnostic de paludisme qui aurait nécessité un traitement spécifique urgent, la cause des fièvres de retour restait ignorée. Les arboviroses étaient affaire de quelques spécialistes, tropicalistes médicaux, et de rares chercheurs, convaincus qu’il convenait de leur accorder plus d’attention (1,2,3). Il y avait à cela plusieurs raisons :

  • Bien qu’elles aient été encore en majorité « tenues à distance », la dengue et l’infection par le VWN avaient déjà démontré leur potentiel d’extension, lié à celui de leurs vecteurs. Partout où Aedes aegypti, son principal vecteur originaire d’Afrique, a pu être transporté, la dengue est devenue endémique. Quant aux vecteurs de VWN, les Culex, ils étaient déjà présents sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique ; les espèces capables de se nourrir à la fois sur les oiseaux, porteurs de virus, et sur l’Homme, sont à l’origine d’épidémies.
  • Plusieurs arbovirus identifiés, d’extension alors encore limitée, apparaissaient en mesure d’atteindre de nouvelles régions géographiques et de s’y implanter. Il s’agissait de virus transmis principalement par des moustiques (Zika, Usutu, fièvre de la Vallée du Rift, chikungunya, encéphalites équines américaines), par des tiques (encéphalite à tiques, fièvre de Crimée-Congo) ou par des phlébotomes (Toscana).
  • L’identification des arbovirus nécessitait le recours à des techniques complexes, elle n’était possible que dans de rares laboratoires spécialisés et plutôt dédiés à la recherche. Le diagnostic des causes des « fièvres de retour », un tableau commun aux arboviroses en début d’évolution, était difficile, insuffisamment répandu et organisé, et donc pas systématique. Or, connaitre les agents responsables des infections est nécessaire, non seulement lorsqu’un traitement s’impose (et s’il existe un traitement spécifique à côté des traitements symptomatiques non spécifiques), mais aussi pour préciser leur épidémiologie (répartition, conditions de transmission, efficacité des moyens de protection) ou pour mener des recherches sur les vaccins et les traitements.
  • A l’exception du vaccin contre la fièvre jaune, d’une efficacité remarquable, il n’existait aucun vaccin protégeant contre les arboviroses les plus répandues (dengue, West Nile) ou les plus dangereuses (fièvre de Crimée-Congo, de la Vallée du Rift).
  • En raison de leur transmission possible par aérosol, de leur pouvoir pathogène élevé et de l’absence de traitement, quelques arbovirus étaient considérés comme armes biologiques potentielles [virus des encéphalites équines américaines : encéphalite équine de l’Est (EEE), de l’Ouest (WEE), du Venezuela (VEE)].
  • Quelques arbovirus pouvaient être responsables de tableaux cliniques graves, parfois responsables de décès, l’encéphalomyélite (infection/inflammation du cerveau et de la moelle épinière) et le syndrome de choc hémorragique (ensemble complexe de phénomènes aboutissant à une fuite de sang ou de liquide plasmatique hors des vaisseaux et à la défaillance circulatoire). Les possibilités thérapeutiques étaient limitées et l’évolution se faisait généralement vers la mort ou, pour les encéphalites, les destructions neuronales et de lourdes séquelles. Ces complications sont présentes dans d’autres infections, virales, bactériennes ou parasitaires. Il était, et il est encore, nécessaire d’en comprendre les mécanismes, particuliers ou communs, pour améliorer leur prise en charge. En cela, certaines arboviroses majeures pouvaient constituer des modèles d’étude : la dengue ou la fièvre de Crimée-Congo pour les fièvres hémorragiques virales (FHV), West Nile ou les encéphalites équines américaines pour les encéphalites.
  • On a assisté, depuis les années 1970-1980, avec l’intensification des transports, au déplacement et à l’installation dans de nouvelles régions géographiques de plusieurs espèces animales dites invasives. Parmi ces espèces se trouvaient des vecteurs potentiels de maladies, dont des moustiques et des tiques.

En 1999 et dans les années 2000, plusieurs événements sont venus confirmer les évolutions pressenties. C’est en 1999 que le virus West Nile est arrivé aux USA, démontrant son potentiel d’extension. Ayant infecté plusieurs espèces locales d’oiseaux, il a depuis gagné tout le continent américain où il est responsable d’épidémies annuelles. Une personne infectée sur 5 développe une maladie fébrile bénigne, une sur 150 présente une forme grave, surtout neurologique, parfois mortelle : selon les CDC, près de 3000 Américains seraient décédés de ces formes graves depuis l’émergence du virus. Alors que la plupart des malades ont été infectés par la piqûre de moustiques, des cas de transmission par transfusion sanguine ou par greffe d’organe, d’évolution souvent très sévère, ont été observés. En France et dans les pays du Sud de l’Europe, le VWN était déjà présent, mais depuis une vingtaine d’années, les cas d’infection se font de plus en plus nombreux. En 2000, des cas ont refait leur apparition chez des chevaux de Camargue, puis en 2003, 7 cas humains se sont produits en Provence (4). Dans les années qui ont suivi, un virus d’un nouveau lignage (lignage 2) est arrivé en Hongrie et s’est étendu, alors que seuls des virus du lignage 1 circulaient en Europe auparavant. Des épidémies importantes se sont déclenchées en Grèce et en Italie, culminant en 2018 lorsqu’elles ont concerné plusieurs pays et produit plus de cas que durant les 7 années précédentes cumulées (dont 25 en France). Alors que les cas vus en France sont restés longtemps limités au littoral méditerranéen, des cas équins sont apparus en Nouvelle-Aquitaine en 2022 et cet été 2023, 7 cas humains ont été identifiés en Gironde (5). La fin de l’année 2022 a également été marquée par le diagnostic de 2 cas d’infection humaine par le virus Usutu, un proche parent du VWN, également d’origine africaine, détecté en France chez des moustiques du genre Culex et de nombreux oiseaux depuis 2015. Alors que l’infection par Usutu est le plus souvent asymptomatique, des atteintes neurologiques sont parfois observées (méningite, méningoencéphalite, paralysie), en cas de déficit de l’immunité. Dans le genre Flavivirus, VWN et Usutu appartiennent au groupe du virus de l’encéphalite japonaise (JEV), un virus responsable d’une infection souvent très grave, surtout chez les jeunes, endémique dans le Sud et l’Est de l’Asie. Lorsqu’elle est symptomatique, l’infection par le JEV est mortelle dans près de 60 % des cas, et ceux qui en guérissent peuvent garder d’importantes séquelles. Il existe heureusement des vaccins efficaces.

Des cas de dengue sont régulièrement importés en France métropolitaine, en provenance surtout d’Asie ou des Caraïbes. Une transmission locale, autochtone, est longtemps restée impossible en l’absence de moustique vecteur compétent : le vecteur principal, Aedes aegypti, a besoin que la température se maintienne au-dessus d’un certain seuil tout au long de l’année et il ne s’est pas (encore) installé sous nos latitudes. Ce n’est pas le cas pour Aedes albopictus (le moustique tigre), tout à fait apte à hiverner dans nos pays. Arrivé d’Asie avec le commerce maritime (en particulier celui des pneus d’occasion - 6) mais aussi par voie routière, il a été détecté en Albanie en 1979, puis en Italie en 1990. En 2004, il a commencé à coloniser les Alpes Maritimes, il s’est étendu ensuite à tous les départements méditerranéens. Transporté par les véhicules le long des axes routiers, il a progressé vers l’Ouest et le Nord pour être présent aujourd’hui dans 71 des 96 départements métropolitains (Fig. 1). Contrairement à ceux d’Ae. aegypti, ses œufs, pondus un peu au-dessus de la surface des eaux stagnantes, même dans de tout petits récipients, résistent à la dessication et au froid durant l’hiver et donnent naissance chaque printemps à une nouvelle génération de moustiques. Ceux-ci (les femelles) peuvent alors s’infecter sur une personne porteuse du virus de la dengue et contaminer par la suite d’autres personnes, à l’occasion d’un nouveau repas sanguin. Des moustiques peuvent même naitre porteurs du virus, puisque les femelles infectées peuvent le transmettre à leur descendance. L’augmentation du nombre de cas importés (378 ont été diagnostiqués en 2022) accroit la probabilité de ces contaminations autochtones : 48 ont été recensées de 2010 à 2021, 66 pour la seule année 2022, 296 entre le 1er mai et le 11 aout 2023 (7). Le 2 aout dernier, deux cas de dengue autochtone ont été diagnostiqués dans les Bouches-du-Rhône, et on ne sait pas encore quel sera le bilan de l’année 2023.

Figure 1.

Avant les années 2000, le virus chikungunya n’était connu qu’en Afrique et en Asie. Il pouvait être responsable de larges épidémies, parfois attribuées, en l’absence de diagnostic, au paludisme, les deux infections pouvant d’ailleurs coexister chez certains individus (8). Ces épidémies se signalaient par un développement très rapide là où des populations humaines denses cohabitaient avec des vecteurs abondants, des moustiques du genre Aedes. Considérée comme toujours bénigne, l’infection n’en était pas moins très invalidante, en raison des atteintes articulaires responsables d’une véritable impotence, parfois durable. L’impact sanitaire et économique des épidémies pouvait donc être considérable mais, là encore, le danger semblait éloigné. Tout a changé avec l’épidémie survenue sur l’île de La Réunion en 2005, qui a pris de court notre système de santé : elle se développait dans un pays riche, en principe bien équipé et organisé, mais confronté à un manque de moyens de diagnostic et de prise en charge des cas, et de stratégies de lutte antivectorielle (9). Les vecteurs du virus, Ae. aegypti et Ae. albopictus, étaient très abondants et les cas d’infection sont rapidement devenus très nombreux, n’épargnant pas bien-sûr les personnels de santé, mettant le système de santé et toute l’économie de l’île en tension. Des formes graves potentiellement mortelles ont été observées, particulièrement chez les nourrissons et les personnes âgées ou porteuses d’autres affections, et ce fut un peu la panique, poussant certains, dans la précipitation, à annoncer publiquement la découverte de prétendus traitements faciles d’accès (dont la chloroquine, déjà !). La réponse s’est cependant organisée chez les professionnels de santé locaux, aidés par des épidémiologistes, des spécialistes de la lutte antivectorielle et des chercheurs, dont ceux de l’Institut Pasteur et du Service de santé des armées pour lesquels le chikungunya n’était pas un inconnu. L’épidémie s’est terminée au milieu de 2006, on a dénombré plus de 200 000 cas (près de 40 % de la population de l’île) et une soixantaine de décès en relation avec l’infection. Depuis, des cas sporadiques ont été décelés à La Réunion, et plus près de nous, c’est en Italie que deux épidémies se sont déclarées, en 2007 et 2017, dans des régions là aussi colonisées par _Ae._albopictus. Comme à La Réunion, ces épidémies survenant dans des populations humaines naïves, en présence de fortes densités de moustiques vecteurs, se développent de façon très rapide : le taux d’attaque (proportion de personnes infectées sur un territoire par unité de temps) peut atteindre 70 %. L’infection étant la plupart du temps symptomatique (dans près de 80% des cas, une exception parmi les arboviroses), même lorsque les symptômes se limitent à la fièvre et aux douleurs articulaires, l’impact est très important. En France métropolitaine, 5 cas de chikungunya importés ont été diagnostiqués entre le 1er mai et le 11 aout 2023 (7), alors que Ae. albopictus est actif sur presque tout le territoire. Les conditions pour l’amorçage de foyers épidémiques se trouvent ainsi réunies.

Ae. albopictus peut aussi être le vecteur du virus Zika, un virus resté longtemps limité à l’Afrique et à l’Asie du Sud-est depuis sa découverte en Ouganda en 1947, mais dont on constate l’extension depuis 2007 et une épidémie survenue sur l’île de Yap dans le Pacifique (10). En 2013, il a atteint la Polynésie française, où on a compté 55 000 cas. Il a par la suite émergé dans plusieurs îles du Pacifique (Nouvelle Calédonie, Ile de Pâques), avant de gagner en 2015 le Brésil où il s’est répandu au cours de la plus importante épidémie jamais observée. La même année, il est apparu dans la plupart des pays d’Amérique Centrale et du Nord de l’Amérique du Sud. En 2016, des cas ont été diagnostiqués en Guyane et aux Antilles françaises. L’infection est le plus souvent asymptomatique (70 à 80 % des cas) ou bénigne (syndrome grippal avec fièvre souvent modérée, douleurs musculaires et articulaires, céphalées, parfois éruption cutanée), elle évolue vers la guérison sans traitement. Mais lorsque les cas sont nombreux, on observe des formes graves ou compliquées. Au Brésil et en Polynésie française, on a ainsi constaté des cas de complications neurologiques (syndrome de Guillain-Barré, myélite) et, chez des femmes infectées durant leur grossesse, des atteintes fœtales avec fausse couche, accouchement prématuré ou arrêt du développement cérébral et microcéphalie. En France métropolitaine, 176 cas importés ont été diagnostiqués, dont 7 chez des femmes enceintes et un avec atteinte neurologique (10). Alors que les épidémies semblent terminées partout dans le monde depuis 2017, des cas continuent de se produire en petit nombre, et 6 ont été importés en France en 2022, aucun à ce jour en 2023 (7).

Si beaucoup ont désormais entendu parler des virus de la dengue ou du chikungunya, transmis par les moustiques, plus rares sont ceux qui connaissent les virus transmis par des tiques. Alors que ces arthropodes sont bien connus pour transmettre la bactérie responsable de la maladie de Lyme chez l’Homme et le parasite de la piroplasmose chez le chien, certaines espèces peuvent être porteuses de virus, tels ceux de l’encéphalite à tique (TBEV) et de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (CCHF). Les encéphalites à tique (il en existe plusieurs variantes) s’étendent dans tout le Nord du continent euro-asiatique, du Japon à l’Est à la France à l’Ouest. Elles ont fait l’objet de plusieurs actualités sur Mesvaccins.net, qui en ont présenté l’épidémiologie, la clinique et les moyens de prévention. Alors qu’on trouve en France plusieurs espèces de tiques capables de transmettre le virus (Ixodes, Dermacentor), les cas d’encéphalite sont restés longtemps peu nombreux et limités à l’Alsace, avec de rares occurrences dans les départements alpins et le Massif Central. Depuis 2021, de nouveaux foyers de contamination sont apparus, élargissant les zones de transmission connues, et les cas se sont faits plus nombreux. La région Auvergne-Rhône-Alpes est à présent très concernée, jusqu’en Ardèche. Plusieurs pays d’Europe (Allemagne, Pologne, Slovaquie, Suisse) ont observé une évolution comparable, en relation avec la multiplication des tiques et l’allongement des périodes pendant lesquelles elles sont en mesure de transmettre le virus, lié au réchauffement climatique. Cette évolution inquiétante a conduit en France à mettre l’encéphalite à tique sous surveillance, avec la déclaration obligatoire des cas (11). Cette surveillance est complétée par celle des populations de tiques et par celle des animaux domestiques dont le lait est utilisé en alimentation humaine (vaches, brebis, chèvres). En effet, ces animaux, qui peuvent aussi être infectés par le TBEV, ne font pas de maladie mais excrètent du virus dans leur lait pendant plusieurs jours. L’Homme peut alors se contaminer par la consommation de ce lait cru, y compris sous forme de fromage non affiné. En 2020, 43 personnes se sont ainsi infectées dans l’Ain et ont présenté des signes allant d’un syndrome grippal à une méningoencéphalite.

Si l’encéphalite à tique peut être grave, particulièrement avec les virus présents à l’Est de l’aire de répartition, comme en Sibérie, la fièvre hémorragique de Crimée-Congo est plus redoutable encore. La maladie a été décrite en 1944 en Crimée, alors que le virus responsable a par la suite été identifié au Congo en 1956, d’où le nom qui a été attribué (12). Cet historique illustre la large répartition du virus, dont les principaux vecteurs sont des tiques du genre Hyalomma présentes en Afrique, en Asie et en Europe au sud du 50e parallèle nord. CCHF est ainsi endémique dans les Balkans, au Moyen Orient, au Pakistan et en Afrique, elle menacerait aujourd’hui près de 3 milliards d’habitants de ces régions. De nombreux animaux, mammifères et oiseaux, peuvent être infectés. Ils ne présentent pas de signes, mais peuvent amplifier le virus, le transporter, le transmettre à des tiques qui iront ensuite contaminer d’autres hôtes. Le sang et la viande de ces animaux est également directement contaminant lorsqu’il est manipulé sans précautions. L’Homme peut être infecté par des piqûres de tiques ou par le contact avec des animaux (chasse, abattage, mise bas), il peut l’être aussi lors de soins apportés à des malades (chirurgie, prélèvements). Des équipements médicaux mal stérilisés peuvent rester contaminants. La recherche d’anticorps dans les populations humaines exposées montre que l’infection reste asymptomatique dans plus de 80 % des cas. L’incubation dure 3 à 7 jours, elle est plus longue en cas de transmission par contact avec des fluides contaminés qu’en cas de piqûre. La maladie commence par un syndrome grippal brutal, accompagné de photophobie, diarrhée, vomissements, douleurs abdominales. Dans les cas graves apparaissent ensuite des signes hémorragiques, allant de simples pétéchies et ecchymoses à des hémorragies massives dans plusieurs organes. Parmi les cas qui nécessitent une hospitalisation, la mortalité atteint 30 à 40 %. En l’absence d’antiviral spécifique, le traitement est essentiellement symptomatique (correction des troubles hydroélectrolytiques et de la coagulation, des défaillances d’organes). Quelques molécules (la ribavirine, ou le favipiravir développé contre la grippe) et les anticorps de convalescents semblent améliorer le pronostic lorsqu’ils sont donnés tôt après le début des signes ou en prophylaxie post-exposition.

Depuis une dizaine d’années, des cas de CCHF se produisent en Espagne, où deux espèces de tiques,H. marginatum et H. lusitanicum, sont suspectées d’être les vecteurs principaux. Les virus isolés sur ces cas étaient le plus souvent apparentés à des virus identifiés en Afrique, différents de ceux qui circulent dans les Balkans et en Turquie, ce qui pourrait indiquer de nouvelles introductions. H. marginatum et H. lusitanicum sont maintenant retrouvées en France, sur le littoral méditerranéen mais pas seulement (13). Il est donc désormais légitime de se montrer attentif à la survenue de cas autochtones de CCHF sur notre territoire.

On voit à travers ces exemples que quelques arboviroses sont devenues des menaces bien réelles en France métropolitaine. Les départements et territoires d’outre-mer, déjà concernés par la dengue, le chikungunya ou Zika, ne sont pas quant à eux à l’abri de nouvelles émergences. Ces évolutions sont permises par l’introduction puis l’extension de populations de vecteurs, dont les activités humaines et en particulier les déplacements et transports sont la cause principale, bien avant le changement climatique ou d’autres mécanismes. Le réchauffement intervient toutefois en raccourcissant certaines phases de maturation des vecteurs, en allongeant leur période d’activité (reproduction, prise de repas sanguins) et en favorisant leur multiplication. Il pourrait aussi permettre l’implantation de nouvelles espèces non adaptées au froid, comme _Ae._aegypti. Dans les années qui viennent, on pourrait donc voir les arboviroses prendre de plus en plus d’importance parmi les maladies infectieuses auxquelles nous sommes exposés, d’autant que les moyens de prévention et de traitement font encore le plus souvent défaut. Des avancées existent cependant en matière de vaccins, et il en sera question dans une prochaine nouvelle. Dans ce domaine, les recherches doivent concerner les virus dont il a été question ci-dessus, mais aussi plusieurs virus dont l’extension aurait un impact majeur, tels ceux de la fièvre de la Vallée du Rift (14) ou ceux des encéphalites américaines. Et même si la fièvre jaune nous inquiète peu aujourd’hui en raison de l’existence d’un vaccin remarquable par bien des aspects, c’est une maladie redoutable et qui garde encore ses mystères : on ignore toujours pourquoi elle est absente d’Asie, où ses vecteurs Aedes sont pourtant abondants. Il serait mal avisé d’en relâcher la surveillance.

Notre « paysage infectieux » évolue, et les arboviroses ne sont pas seules concernées. Les échanges incessants à l’échelle de la planète, le vieillissement de la population, la proportion grandissante de personnes présentant des déficits immunitaires ou des pathologies qui les exposent à des formes plus graves, les comportements à risque qui se perpétuent, l’émergence de germes nouveaux ou devenus résistants aux traitements, nos pratiques dans différents domaines (agriculture, élevage, alimentation, recherche, …), les modifications de notre environnement, modifient la nature et le nombre des maladies infectieuses auxquelles nous sommes exposés, leur fréquence relative, leur présentation, leur pronostic. Certaines de ces maladies sont qualifiées d’opportunistes car elles profitent d’une baisse de l’immunité, induite par une autre maladie ou un traitement, pour se développer, alors qu’elles ne se manifestent pas chez des personnes en bonne santé. L’opportunisme est une notion qui pourrait s’étendre à d’autres infections, celles qui émergent dans des populations immunitairement naïves et non préparées, comme l’a fait la covid-19, ou celles pour lesquelles les conditions de transmission se trouvent réalisées, alors qu’elles ne l’étaient pas auparavant. Les arboviroses entrent dans cette catégorie, et on ne peut pas ignorer qu’elles ont démontré leur capacité à s’implanter et à toucher des populations toujours plus nombreuses.

Références

  1. D. Hober, G. Roulin et coll. La dengue : une maladie virale en pleine expansion. Médecine et Maladies infectieuses, 1995, 25, pp. 888-895.
  2. J-P. Durand, P. Couissinier-Paris et coll. (2003). La dengue: bientôt en Europe du Sud ? La Revue du Praticien.
  3. H. Tolou, P. Couissinier-Paris et coll. Arboviroses en France métropolitaine : entre résurgence et émergence. Feuillets de Biologie, 2005, XXXXVI (265), 37-45.
  4. J-P. Durand, F. Simon et coll. Virus West Nile : à nouveau en France chez l'homme et les chevaux. La Revue du Praticien, 2004, 54 (7), 703-710.
  5. Communiqué de presse de l’ARS Nouvelle-Aquitaine, 9/08/2023.
  6. P. Reiter et D. Sprenger. The used tire trade: a mechanism for the worldwide dispersal of container breeding mosquitoes. J Am Mosq Control Assoc. 1987 Sep;3(3):494-501. PMID: 2904963.
  7. Chikungunya, dengue et zika - Données de la surveillance renforcée en France métropolitaine en 2023.
  8. J-J. Muyembe-Tamfum, C.N Peyrefitte CN et coll. Epidémies a virus Chikungunya en 1999 et 2000 en République Démocratique du Congo. Med Trop (Mars). 2003;63(6):637-8. French. PMID: 15077435.
  9. N. Pardigon, P. Despres et coll. La flambée du virus Chikungunya dans l'Océan indien : réflexions sur une arbovirose négligée. Virologie, 2006, 10 (1), 3-5.
  10. Institut Pasteur, fiches maladies : Zika.
  11. Encéphalite à tiques en France : premier bilan des cas recensés par la déclaration obligatoire entre 2021 et 2023.
  12. Fiche CCHF de l’ECDC.
  13. ECDC, cartes de répartition des vecteurs.
  14. H. Tolou, S. Plumet et coll. Virus de la Fièvre de la Vallée du Rift : évolution en cours. Med Trop (Mars). 2009 Jun;69(3):215-20.

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