France : description bactériologique de dix cas d’infections à Corynenacterium diphtheriae importés d’Afrique

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La revue Eurosurveillance vient de publier un article qui décrit des cas d’infections à Corynebacterium diphtheriae multirésistant chez des personnes ayant voyagé de l'Afrique de l'Ouest vers la France.

Entre le 30 mars 2023 et le 30 septembre 2023, le Centre national de référence des corynébactéries du complexe diphtheriae a reçu et analysé 12 isolats de C. diphtheriae provenant de 12 malades ayant voyagé en Afrique de l'Ouest (11 isolats) et en République centrafricaine (RCA) (1 isolat). Le délai entre l'entrée en France et le prélèvement variait de 5 à 31 jours. Trois isolats ont été associés dans un même foyer et présentaient la même séquence génomique ; seul le cas index a été inclus dans la suite de l'analyse qui a porté au total sur 10 isolats.

Tous les isolats, sauf un, provenaient d'infections cutanées (4 cas présentaient des infections cutanées sur des plaies de jambe et un cas présentait un ulcère de Buruli). Quatre isolats possédait le gène codant pour la toxine de C. diphtheriae et produisaient la toxine de manière phénotypique (test d'Elek positif). Deux cas, infectés par des souches productrices de toxine, ont été hospitalisés. Aucun décès n'a été signalé. Les cas ont été pris en charge dans 6 Régions et étaient âgés de 1 à 67 ans (médiane 21). Le sexe ratio était de 1:1. Les antécédents de voyages récents concernaient la Guinée (n = 3), le Mali (n = 3), le Sénégal (n = 2), la RCA (n = 1), le Niger et le Nigéria (n = 1). Pour 6 cas, le statut vaccinal était inconnu, 3 n'étaient pas vaccinés et 1 seul (âgé de 1 an) était vacciné.

Les 10 isolats correspondaient à 9 types de séquences MLST (typage de séquences multilocus), le ST377 ayant été trouvé dans 2 cas, liés à la RCA et à la Guinée. Ces deux isolats appartenaient à deux groupes génomiques distincts selon le MLST du génome « de base ». Le niveau élevé de diversité génomique a montré que les 10 isolats n'étaient pas étroitement liés phylogénétiquement et ont mis en évidence une population bactérienne multiclonale. Tous les isolats appartenaient au biovar Mitis, à l'exception de l'isolat respiratoire, qui était du biovar Gravis.

Les tests de sensibilité aux antimicrobiens ont révélé une résistance à de nombreux antibiotiques : pénicilline G (5/10), gentamicine (8/10), tétracycline (7/10), ciprofloxacine (4/10), sulfonamide (8/10), triméthoprime (7/10), triméthoprime-sulfaméthoxazole (9/10), erythromycine (2/10), clarithromycine (1/10), azithromycine (3/10), spiramycine ( 2/10). La sensibilité à l’amoxicilline, l’ antibiotique recommandé en France en première intention, était conservée (9/10).

Sept des 10 isolats étaient multirésistants (résistance à des antibiotiques appartenant à 3 classes ou plus) et les 10 isolats étaient résistants entre 3 à 12 antibiotiques sur les 21 testés. Sur cinq isolats résistants à la pénicilline G, deux étaient résistants à l'érythromycine (trois à l'azithromycine), les antibiotiques de deuxième intention en cas d’allergie à l’amoxicilline.

Alors que 3 isolats tox-positifs ne présentaient qu'une résistance à des agents antimicrobiens d'importance clinique secondaire, un isolat tox-positif lié à la Guinée présentait une résistance élevée à la pénicilline G (avec une hétéroresistance c’est-à-dire une sensibilité plus élevée dans certaines parties de la population bactérienne) et une résistance à l'oxacilline, l'amoxicilline, le méropénème, l'érythromycine, l'azithromycine, la tétracycline et la rifampicine. Cet isolat restait sensible à une exposition accrue à la ciprofloxacine. Le séquençage génomique a révélé des gènes de résistance aux antimicrobiens ou des mutations qui correspondaient fortement aux phénotypes.

L’isolement de ces souches d’inscrit dans un contexte de flambées épidémiques de diphtérie déclarées en 2023 dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest (Nigeria, Guinée) avec des cas également au Mali et au Niger (voir la nouvelle du 9 novembre). Peu d'informations sont disponibles sur les isolats en circulation et leurs caractéristiques et les cas rapportés pourraient fournir des informations sur les épidémies en cours.

Les auteurs ont montré que 8 isolats sur 10 étaient résistants à plusieurs agents antimicrobiens. Six des 10 isolats qui appartiennent à des génotypes distincts étaient porteurs du gène pbp2m qui confère généralement une faible résistance à la pénicilline et à l'amoxicilline. Ce résultat suggère une forte prévalence de pbp2m en Afrique de l'Ouest. Le gène de résistance aux macrolides ermX semble également être commun en Afrique de l'Ouest et est toujours associé à pbp2m.

La multirésistance est préoccupante, car elle affecte négativement les soins cliniques et l'efficacité de la prophylaxie pour contrôler l'évolution et la propagation de la maladie. Ici, la résistance a été observée à la fois dans les isolats tox-positifs et tox-négatifs. Ces derniers ont été détectés en prélevant des échantillons d'infections cutanées. Bien que les infections cutanées à C. diphtheriae ne soient généralement pas détectées dans les contextes d'épidémies où le diagnostic est principalement basé sur les signes cliniques classiques de la diphtérie respiratoire, les plaies infectées sont considérées comme importantes pour la transmission de la diphtérie.

La principale limite de cette étude est sa représentativité. Les auteurs concluent qu’il est urgent de caractériser un plus grand nombre d'isolats, représentatifs des épidémies en cours, afin d'orienter les stratégies de traitement antimicrobien et de prophylaxie appropriées.

Il est nécessaire de maintenir une couverture vaccinale élevée, même dans les régions à faible incidence, qui sont confrontées au risque d'importation de cas. Le risque de dissémination dans les pays à forte couverture vaccinale semble limité. En France, en 2023, aucun cas secondaire n'a été signalé, comme cela a également été observé pour les cas importés d'autres régions en 2022.

Source : Eurosurveillance.

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