L'imbroglio du vaccin DTP

Publié le 13 fév. 2017 à 10h25

Biographie

- Qualité : Docteur en médecine, biologiste médical (DES biologie 1992).
- Activité principale : biologiste médical, médecin de centre international de vaccinations
- Spécialités médicales : microbiologie, virologie, vaccinologie.

Liens d'intérêt

- Membre de commissions et comités :
Commission des maladies infectieuses et des maladies émergentes (Haut Conseil de la santé publique, 2017-2022)
Comité technique de vaccinations (Haut Conseil de la santé publique, 2007-2017)
Groupe vaccins (ANSM, 2016-en cours)
- Liens avec l'industrie :
DPI consultable sur le site HCSP : https://www.hcsp.fr/explore.cgi/Personne?clef=2329 Rémunérations directes par l’industrie : non.
A titre familial : aucun lien.

Depuis de nombreuses années, la demande de disposer d'un vaccin DTP (vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite) sans adjuvant à base de sels d'aluminium et sans formaldéhyde pour satisfaire aux seules obligations vaccinales des enfants est une question récurrente de certains parents et d'associations auprès des autorités de santé. Le Conseil d'Etat vient de demander à la Ministre de la santé de rendre disponible les vaccins DTP dans un délai de six mois.

Voici quelques éléments pour mieux comprendre les enjeux de cette demande et les réponses qui pourraient lui être apportées.

1. Obligations et recommandations vaccinales chez les enfants en France.

Les questions de l'obligation vaccinale et de la disponibilité de vaccins répondant aux seules obligations vaccinales ont été abordées par plusieurs instances ou commissions, notamment dans le rapport sur la politique vaccinale publié janvier 2016 et dans les conclusions du Comité d'Orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination, publiées en décembre 2016.

En France, seules les vaccinations contre la diphtérie (D) et le tétanos (T) (primo-vaccination et rappel chez les enfants de moins de 18 mois) et contre la poliomyélite (P) (primo-vaccination et rappels jusqu'à l'âge de 13 ans) sont obligatoires, conformément aux articles R3111-2 et L3111-2 du Code de la santé publique.

La dernière obligation vaccinale en population générale concerne la vaccination contre la poliomyélite, rendue obligatoire en 1964.

Le vaccin utilisé auparavant pour satisfaire à ces obligations vaccinales était le vaccin D.T. POLIO MERIEUX. Or ce vaccin, qui était distribué par le laboratoire Sanofi Pasteur MSD, a été suspendu en 2008 en raison de complications allergiques.

Par ailleurs, le calendrier vaccinal français recommande la vaccination des nourrissons contre trois autres maladies : la coqueluche, les infections invasives à Haemophilus influenzae de type b et l'hépatite B. L'utilisation des vaccins dits hexavalents (Infanrixhexa, Hexyon) est privilégiée car ces vaccins confèrent une protection contre l'ensemble des maladies à prévention vaccinale citées ci-dessus, que ce soit dans le cadre d'obligations ou de recommandations vaccinales. Les vaccins hexavalents évitent la multiplication des injections vaccinales tout en exposant le nourrisson à un nombre plus faible d'antigènes que dans les années 1980 par exemple (le vaccin coquelucheux entier qui était alors utilisé pour vacciner les nourrissons contenait à lui seul un nombre beaucoup plus élevé d'antigènes que l'ensemble des vaccins utilisés aujourd'hui).

Dans un avis daté du 13 mars 2013 et du 6 mars 2014 et commenté ici sur MesVaccins.net, le Haut Conseil de la santé publique avait estimé que l'obligation vaccinale a pour inconvénient de ne pas privilégier la prévention des maladies à prévention vaccinale dont le poids épidémiologique est le plus important aujourd'hui. Ainsi, l'obligation vaccinale pourrait contribuer à faire accroire que les vaccins recommandés sont facultatifs et moins importants que les vaccins obligatoires.

Ce paradoxe est spécifiquement français. Au sein de l'Union européenne, tous les pays recommandent la vaccination contre la coqueluche et Haemophilus influenzae de type b et obtiennent des couvertures vaccinales élevées contre ces maladies. Tous ont une politique vaccinale contre l'hépatite B, soit universelle et s'adressant à tous les enfants pour une majorité d'entre eux (dont l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la Grèce et la Pologne), soit centrée sur les personnes à risque pour d'autres pays (notamment au Royaume-Uni).

Les vaccins pentavalents (DTP, coqueluche et Haemophilus influenzae de type b : Pentavac, Infanrixquinta) sont proposés aux familles qui ne souhaitent pas que leurs enfants soient vaccinés contre l'hépatite B. Les vaccins tétravalents (DTP et coqueluche : Tetravac acellulaire, Infanrixtetra) sont recommandés pour le rappel vaccinal de 6 ans ou de 11-13 ans.

2. Sécurité des vaccins contenant les valences D, T et P.

Le formaldéhyde fait l'objet d'une polémique en raison de sa classification comme probable carcinogène humain et du fait de son effet irritant lors d'une exposition chronique par voie respiratoire. Les vaccins contre le tétanos et la diphtérie utilisent une toxine détoxifiée par le formaldéhyde (appelée anatoxine) ; ce produit est également utilisé pour inactiver les poliovirus dans le processus de fabrication du vaccin contre la poliomyélite. Dans tous les cas, le formaldéhyde est ensuite éliminé mais peut persister à l'état de traces. Il faut noter qu'il n'était pas moins présent dans le vaccin D.T. POLIO MERIEUX que dans les autres vaccins contenant les valences D, T ou P combinées à d'autres valences. Dans ces conditions, la polémique concernant la présence de ce produit dans les vaccins est sans fondement, et ce d'autant plus que le formaldéhyde est naturellement présent dans le corps humain comme la résultante de divers processus biochimiques : sa concentration dans le sang est sans commune mesure avec les quantités infimes contenues dans les vaccins.

Dans un rapport daté du 11 juillet 2013, le Haut Conseil de la santé publique estimait que les données scientifiques disponibles ne permettent pas de remettre en cause la sécurité des vaccins contenant de l'aluminium, au regard de leur balance bénéfices/risques. Les publications concernant des séries de cas de myofasciite à macrophages de l'adulte proviennent d'une seule équipe (française) dans le monde ; le lien entre la vaccination et la présence dans les muscles de granulomes contenant de l'aluminium est reconnu mais aucune étude dans la littérature ne permet d'affirmer le lien de causalité entre les signes cliniques rapportés et la présence de granulomes contenant de l'aluminium. La symptomatologie décrite par cette seule équipe concerne principalement des adultes exposés à un nombre élevé de vaccinations contenant de l'aluminium (5 en moyenne) dans les 10 années antérieures. Cette symptomatologie n'est pas rapportée chez les nourrissons qui pourtant reçoivent proportionnellement plus d'aluminium provenant des vaccins, en particulier dans les pays (Etats-Unis par exemple) qui ont ou ont eu des schémas vaccinaux comportant un plus grand nombre d'injections.

3. Réponse actuelle aux demandes de vaccin DTP seul, c'est-à-dire non combiné à d'autres valences (coqueluche, Haemophilus influenzae b et hépatite B).

En 2014-2015, plus de 90 % des nourrissons ont été vaccinés contre l'hépatite B et ont donc reçu un vaccin hexavalent. Parmi les 10 % restants, la plupart (refusant le vaccin contre l'hépatite B) ont reçu un vaccin pentavalent. 

Le vaccin DTP est demandé par ceux qui ne veulent que les vaccins obligatoires, soit 2 à 3 % de la population française.

Pour répondre aux demandes de doses de vaccin trivalent DTP, non combiné à d'autres valences, le laboratoire Sanofi Pasteur a mis à disposition sous forme de kits des doses de vaccins DT (DTVax) et des doses de vaccin monovalent Polio (Imovax Polio). Après rupture de stock du vaccin DTVax en flacon multi-doses, des doses de Vaccin Diphtérique et Tétanique adsorbé en flacon unidose ont été importées du Canada. Cependant, cette situation ne peut être que transitoire au regard du nombre de doses mises à disposition et de la procédure pour obtenir ces dernières. En 2016, 2 362 de ces kits spécifiques ont été délivrés.

Une nouvelle demande a été adressée à la Ministre de la santé en novembre 2015 de disposer de vaccins DTP sans adjuvant. Par décision du 12 février 2016, la Ministre a rejeté leur demande. Ces personnes ont alors saisi le Conseil d'Etat pour faire annuler la décision de la Ministre.

4. Le Conseil d'Etat demande à la Ministre de la santé de rendre disponible les vaccins DTP dans un délai de six mois.

Par décision en date du 8 février 2016, le Conseil d'Etat annule la décision de la Ministre de la santé. Le Conseil d'Etat contraint alors l'Etat à rendre disponible dans un délai de six mois les vaccins correspondant aux seules obligations vaccinales. 

Par ailleurs, le Conseil d'Etat rejette les allégations des requérants sur le risque environnemental avec la présence d'adjuvant et de formaldéhyde (article 5 de la Charte de l'environnement) et le risque d'atteinte à l'intégrité de la personne en raison de la commercialisation de vaccins comportant des adjuvants et des valences non obligatoires (article 223-1 du code pénal).

Pour le Conseil d'Etat, il y a une contradiction entre le rôle de l'Etat à rappeler aux laboratoires pharmaceutiques leurs obligations, comme cela été indiqué dans les conclusions du rapport sur la politique vaccinale et les conclusions de la concertation citoyenne sur la vaccination, et la décision de l'Etat de rejeter la demande de mise à disposition des vaccins DTP satisfaisant aux seules obligations vaccinales.

5. Comment pourrait-on mettre en oeuvre la demande du Conseil d'Etat ?

La loi de Modernisation du Système de santé 2016, dans ses articles L5121-31 et L5121-32, indique que « les titulaires d'autorisation de mise sur le marché et les entreprises pharmaceutiques exploitant des médicaments doivent élaborer et mettre en oeuvre un plan de gestion des pénuries pour les vaccins dont la liste est fixée par le ministre chargé de la santé ». L'Etat peut sanctionner les laboratoires qui ne satisfont pas aux obligations. Il peut également demander à l'Agence nationale de santé publique, suivant les compétences de l'ancien Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, d'assurer l'acquisition, la fabrication, l'importation et la distribution de médicaments et donc de vaccins pour faire face à leur commercialisation ou production insuffisante.

Cependant, la mise à disposition du vaccin DTP dans un délai de six mois n'est ni souhaitable, ni réaliste. 

Elle n'est pas souhaitable, car ne pas vacciner les nourrissons contre les infections invasives à Haemophilus influenzae de type b, contre la coqueluche et contre l'hépatite B serait une perte de chances pour les enfants, au vu de l'efficacité de ces vaccinations. Par exemple, depuis l'introduction en France de la vaccination anti-Haemophilus influenzae de type b en 1992, le taux d'incidence annuel des méningites chez les enfants de moins d'un an est passé de 25 pour 100.000 personnes à 0,6 pour 100.000 personnes en 2008.

Elle n'est pas réaliste car il n'est pas raisonnable de penser que l'Etat puisse rendre disponible le vaccin DTP dans un délai de six mois, alors que le vaccin D.T. POLIO MERIEUX n'est plus fabriqué et qu'aucun pays dans le monde ne réalise la vaccination avec le vaccin DTP seul, sans combinaison à d'autres valences.

Dans ces conditions, il ne reste que deux possibilités : 

  • L'abandon de l'obligation vaccinale contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite ;
  • Ou bien son extension aux autres vaccinations de l'enfant : c'est la recommandation du Comité d'Orientation de la concertation citoyenne, qui propose toutefois de compléter cette extension par une clause écrite d'exemption. 

Il semble que l'adjonction d'une clause écrite d'exemption à l'extension de l'obligation vaccinale ne soit pas simple sur le plan juridique.

La levée de l'obligation vaccinale nécessiterait un décret, son extension nécessiterait une loi.

Source : Conseil d'Etat, 8 février 2017.