L'obligation vaccinale : maintenant et après

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La nouvelle obligation vaccinale est entrée en vigueur le 1° janvier 2018 sans grande réaction de la part des opposants traditionnels à la vaccination. Si onze vaccinations (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, _Haemophilus influenzae_b, hépatite B, pneumocoque, méningocoque C, rougeole, rubéole, oreillons), sont désormais obligatoires pour les nourrissons avant l’âge de 18 mois au lieu des trois obligations traditionnelles (diphtérie, tétanos, poliomyélite), c’est en réalité le calendrier vaccinal du nourrisson, déjà appliqué à une large majorité des enfants, qui devient obligatoire.

L’injonction faite au gouvernement par le Conseil d’Etat [1] de rendre disponible dans les 6 mois le vaccin DTP (option irréalisable) « sauf à ce que la loi évolue en élargissant le champ des vaccinations obligatoires » rendait la décision incontournable, alors que, dans un contexte où plus de 40 % de la population émet des doutes sur la sécurité des vaccins [2], l’option alternative (levée des obligations) pouvait paraître pour le moins risquée.

Alors que la vaccination a largement fait la preuve de sa sûreté et de son impact majeur sur la santé des populations, des enfants en particulier, on ne peut qu’éprouver une certaine tristesse de constater qu’il faille recourir à des mesures coercitives pour protéger la santé des enfants. Tristesse également de voir la France s’éloigner des pays européens à forte tradition démocratique (Allemagne, Royaume Uni, pays nordiques…) qui n’ont aucune obligation vaccinale et rejoindre ainsi le groupe des pays à obligations multiples qui, à l’exception de l’Italie, sont issus de l’ex bloc soviétique.

Quoi qu’il en soit, cette obligation est le geste fort des autorités de santé que les professionnels, jusque là quelque peu abandonnés face aux polémiques sur les effets indésirables allégués de certains vaccins, attendaient depuis plus de vingt ans avec les controverses sur la vaccination contre l’hépatite B. En rendant obligatoire le calendrier vaccinal du nourrisson, cette nouvelle loi règle (du moins à court terme) le problème de la dualité entre vaccins obligatoires et recommandés dont le caractère délétère avait été souligné par le Haut Conseil de la Santé Publique [3] : aucune justification épidémiologique, suggère à tort que les vaccins recommandés sont moins importants et « facultatifs » comparés aux obligatoires, confusion née du mélange dans les vaccins combinés de valences obligatoires et de valences recommandées. Enfin, ces nouvelles dispositions vont améliorer les taux de couverture de deux vaccinations en difficulté en France : la rougeole où le plafond de verre peu compréhensible de 90% de couverture pour la première dose à 2 ans devrait être enfin brisé et une couverture à 95 % à 2 doses enfin obtenue au même âge. La couverture vaccinale contre le méningocoque C devrait également permettre de protéger les petits nourrissons contre les infections redoutables liées à cette bactérie. Toutefois, les problèmes de fond liés à ces deux maladies ne sera pas réglé, du moins à court-moyen terme puisque la prévention des flambées épidémiques de rougeole telles qu’observées actuellement repose sur le rattrapage des enfants, adolescents et adultes jeunes. Quant à la politique vaccinale contre le méningocoque C, son succès dépend de l’immunité de groupe et de l’immunisation des adolescents et adultes jeunes qui transmettent cette bactérie aux enfants.

Quelques questions doivent d’ores et déjà être soulevées : le non respect de l’obligation vaccinale n’est assorti d’aucune mesure pénale, ce qui est probablement un bien. Toutefois, le contrôle du respect de l’obligation incombe dans sa totalité aux collectivités qui devront subordonner l’admission d’un enfant à la fourniture de la preuve de vaccination en conformité avec la loi. Cette procédure sera appliquée dès juin pour la petite enfance, beaucoup plus tard pour l’admission à l’école, mais plus tôt que prévu puisque la scolarité devrait devenir obligatoire dès l’âge de 3 ans. Les collectivités auront-elles les moyens et la volonté d’effectuer ce contrôle ? Ce sera probablement le cas des structures publiques, mais qu’en sera-t-il des structures associatives ou des assistantes maternelles ? La période intermédiaire où les enfants nés avant 2018 restent soumis à l’obligation ancienne risque de générer confusion et incompréhension.

Une autre question concerne les vaccinations non soumises à l’obligation. En fait, concernant les enfants, ceci ne concerne que la vaccination contre le papillomavirus, seule vaccination échappant à l’obligation alors qu’elle est déjà en grande difficulté en France. Son statut risque d’être utilisé par les opposants pour argumenter sur la non utilité de cette vaccination. Faute de la mise en place de mesures spécifiques, il est à craindre que la couverture vaccinale HPV ne s’améliore pas, voire continue à se dégrader.

Enfin, les nouvelles dispositions rendent obligatoires le calendrier du nourrisson, lequel n’est certainement pas figé. Certains vaccins jusque là non retenus (varicelle, rotavirus, méningocoque B, grippe) ou des vaccins nouveaux pourraient être introduits au calendrier vaccinal du nourrisson : seront-ils rendus obligatoires ? Si oui sur quels critères en sachant qu’il faudra changer la loi. Sinon, reviendra-t-on à la coexistence très décriée de vaccins obligatoires et de vaccins recommandés ?

On ne pourra ainsi échapper dans les années à venir à une réflexion de fond sur l’obligation et sur les critères qui devraient y conduire. En réponse à une question prioritaire de constitutionnalité [4], le Conseil Constitutionnel a estimé en 2015 que les obligations vaccinales étaient conformes à la constitution et qu’il était « loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective ». C’est effectivement au titre de la santé collective qu’est justifié le recours à l’obligation. Toutefois, ceci ne s’applique qu’aux vaccinations qui procurent une immunité de groupe. Ce point mérite d’ailleurs une mention particulière : l’immunité de groupe, qui protège indirectement les personnes non vaccinées est exigeante et fragile : la couverture vaccinale doit atteindre le seuil d’immunité de groupe et s’y maintenir, faute de quoi la maladie réapparaît, comme ce fut le cas pour la diphtérie en Russie dans les années 1990, suite à l’effondrement du système de santé soviétique et l’arrêt de la vaccination. Pire, ne pas atteindre le seuil d’immunité de groupe induit des effets délétères : c’est actuellement le cas pour la rougeole, naguère maladie de l’enfant de 3-5 ans. La couverture vaccinale insuffisante a déplacé l’âge de la maladie chez les nourrissons de moins de un an, mais surtout chez les adolescents et jeunes adultes, âges où la rougeole est plus grave. La vaccination contre le méningocoque est un autre exemple : alors que le Royaume Uni et les Pays Bas qui ont bien vacciné ont quasiment éradiqué le méningocoque C, la France a vu augmenter l’incidence de la maladie chez les petits nourrissons qui auraient du être protégés par l’immunité de groupe, non obtenue du fait de l’insuffisance de la couverture vaccinale dans les tranches d’âge ciblées par la vaccination. Ainsi, si le succès de la mise en place d’un nouveau programme de vaccination dépend de l’obtention d’une immunité de groupe, l’obligation vaccinale devient licite (voire nécessaire) si l’organisation du système de prévention ou les conditions d’acceptabilité ne permettent pas de garantir de l’obtenir par une « simple recommandation ». Une obligation vaccinale (en population générale) devrait en outre et à notre sens, remplir deux autres conditions : prévenir une maladie fréquente et grave, utiliser un vaccin efficace et bien toléré.

Voilà les questions qui devraient être abordées si de nouvelles vaccinations devaient être introduites au calendrier vaccinal du nourrisson. Ces questions n’ont pas été abordées lors de la mise en place des actuelles recommandations et si cela avait été le cas, la réponse eut été bien difficile. L’industrie pharmaceutique en effet fausse totalement le jeu en développant les vaccins combinés (ce qui représente un vrai progrès) mais aussi en retirant systématiquement du marché les vaccins non combinés. Ainsi, il est en France actuellement impossible de vacciner contre la diphtérie sans vacciner contre la polio ou contre la rougeole sans vacciner contre les oreillons. Ainsi, un nouveau critère d’exigence devrait probablement être considéré : disposer d’un vaccin non combiné.

De durs chantiers en perspective…

Références

  1. Conseil d’État. 8 février 2017.
  2. Larson HJ, de Figueiredo A, Xiahong Z, et al. The state of vaccine confidence 2016: global insights through a 67-country survey. _EBioMedicine._2016 ; 12 : 295-301.
  3. Haut conseil de la santé publique. Avis relatif à la politique vaccinale et à l’obligation vaccinale en population générale (hors milieu professionnel et règlement sanitaire international) et à la levée des obstacles financiers à la vaccination. 13 mars 2013 et 6 mars 2014.
  4. Conseil Constitutionnel. Décision n° 2015-458 QPC du 20 Mars 2015.

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